Auditrices et auditeurs
qui m’écoutez, bonjour. S’il est, en France, une administration
particulièrement inventive pour ne pas dire imaginative, c’est bien celle de
l’équipement. Autrefois, on parlait de la DDE mais aujourd’hui on ne sait plus
trop qui s’occupe de la voirie, suivant que celle-ci se trouve être communale,
départementale ou nationale. Néanmoins, malgré cette diversité apparente, les
fonctionnaires en charge de ces différents étages routiers font preuve d’une
remarquable homogénéité de pensée et d’action, tant au niveau technique que
conceptuel.
Prenons un exemple
intéressant : le trou. En effet, le trou dans la voirie fait l’objet d’une
attention soutenue de la part des services de l’équipement. N’est pas trou qui
veut, on s’en rend aisément compte. C’est bien pour cela que, quand le moindre
cantonnier repère une espérance de trou, il en avise sa hiérarchie qui, dans la
mesure de sa disponibilité, prenant en compte les jours ouvrables, les RTT, les
congés et les arrêts de maladie, fait diligence pour se rendre au chevet de ce
creux potentiel. Aussitôt, une commission est créée, chargée d’établir un ordre
du jour et de convoquer les experts en la matière, ou plutôt, dirais-je, les
experts en la non-matière puisqu’un trou se distingue particulièrement par son
absence de matière et même en quelque sorte par son immatérialité. N’est pas
non plus expert en trou qui veut car il faut être capable de parler de
l’absence, du manque, du vide, du néant en quelque sorte. Vous me direz qu’il
ne manque point de brillants spécialistes en discours creux dans notre pays
mais tout de même ! On est ici dans le domaine de la technique du trou, on
ne peut pas se fier au premier venu pour l’appréhender. Nul n’a oublié
l’histoire de ce camionneur livrant un trou et le vidant en levant sa benne. La
benne vide du trou, il recula et tomba dedans. Ce camionneur manquait nettement
d’expertise, il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre.
Un trou potentiel dans
la voirie se doit, de nos jours, de répondre à des critères sévères de largeur,
de longueur et de profondeur. En quelque sorte un trou non normalisé, un simple
traoucat dirais-je, ne peut se concevoir dans nos routes. Et c’est ici
qu’intervient toute l’expertise de nos judicieux fonctionnaires. Avez-vous déjà
aperçu au bord de nos belles routes ce panneau : trou en formation ?
Eh bien, ce trou potentiel décelé et diagnostiqué par les spécialistes ad hoc a
donc été envoyé en formation pour y apprendre les rudiments de la troulogie, à
savoir l’étude des trous qui permet à un léger creux de devenir, une fois
diplômé, une cavité homologuée et normalisée. A son retour, on pourra changer
la signalisation, mettre des balises, instaurer des circulations alternées et
des vitesses limitées. Ensuite, on pourra établir des déviations et lancer un
projet de travaux au terme desquels le trou devenu grand pourra émigrer vers
d’autres lieux qui seraient tristement affligés de simples bosses sans intérêt.
Il pourra aussi participer au repeuplement de nos campagnes en se muant en nid
de poule pour chemin vicinaux. Un trou de bonne qualité fait la fierté des
fonctionnaires et l’orgueil des élus, il leur permet de faire montre de leur
expertise, de leurs capacités d’analyse et de leurs compétences absolues,
strictement opposables à tout détracteur de bas étage. Le trou a son culte et
les experts en sont les grands prêtres et les thuribulaires.
On voit par-là que
François Rabelais avait raison de dire que celui-là qui veut péter plus haut
qu'il n'a le cul doit d'abord se faire un trou
dans le dos.
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