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dimanche 6 mai 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (32)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Le progrès fait rage et nos édiles autant que les média nous assourdissent de toutes les nouveautés, innovations et autres prouesses techniques. Parmi celles-ci, il y a ce qu’il est convenu d’appeler jusqu’à nouvel ordre le très haut débit. Et ce très haut débit – le THD comme se complaisent à le nommer les acronymophiles – sera lui-même porté jusqu’au plus profond de la France par une fibre dite optique qui sert à véhiculer l’information sous forme lumineuse à une vitesse surprenante. Gageons toutefois que bientôt ce très haut débit sera supplanté par quelque ultra haut débit qui nous débitera à la vitesse de la lumière tant les dernières informations scientifiques que –et surtout- les sottises les plus balourdes des média et des réseaux sociaux. Mais il paraît que l’on n’arrête pas le progrès !
Pour assurer l’installation de cette fibre, il est quand même nécessaire de réaliser des travaux, installer des tuyaux, câbler  et connecter des conducteurs et que sais-je ? C’est ainsi que l’on voit fleurir sur les routes des sens alternés, des limitations de vitesse et autres signalisations adéquates. Des fourgons circulent en tous sens, des rouleaux de câble sont stockés çà et là, piétons, cyclistes et automobilistes n’ont qu’à bien se tenir, des chefs, des sous-chefs, des contre-chefs et des entre-chefs circulent, casqués et fluogiletés, le geste auguste et la bombe Btp en bandoulière. Déjà avaient fleuris sur nos routes de campagne moult signes cabalistiques dont le sens nous apparaît quelque peu évident maintenant. Et des ouvriers s’affairent, fonçant à toute allure dans leurs fourgonnettes aux armes de leurs entreprises, parfois insoucieux de la signalisation qu’ils ont eux-mêmes mis en place. Mais, que diable, quand on apporte le progrès, n’a-t-on pas toutes les priorités ?
Imaginez tout ce que vous apportera le très haut débit, le cinéma en streaming, les vidéoconférences, l’information du monde entier et, le fin du fin, la transmission d’images en trois dimensions (3D pour les intimes) qui, une fois envoyées dans l’imprimante éponyme, vous permettront d’obtenir une variété infinie d’objets en plastique coulé plus facilement qu’un  rapport en 36 pages. Bientôt, vous entrerez dans votre ordinateur pour vous télétransporter à l’autre bout de la planète où vous vous virtualiserez sous forme de galette virtuelle. Car c’est là le bout du bout du fin du fin du progrès : la virtualité. Vous commanderez des poireaux sur le net et vous en recevrez une botte virtuelle pour peu que vous ayez une carte de crédit tant appropriée qu’approvisionnée. Le virtuel sera l’aboutissement ultime de notre modernité et nous nous déplacerons dans un univers hologrammatique délicieux, ouaté et parfumé.
Toutefois, d’ici à ce que l’on y arrive, notre monde reste irrémédiablement matériel et on peut le constater à l’examen des travaux en cours : ces ouvriers qui installent et tirent ces câbles ne sont point des êtres virtuels, ils ont des besoins comme les autres et, œuvrant jusque dans les plus petites communes de notre pays, lesquelles lorsqu’elles ne sont soit pas pourvues de toilettes publiques soit par dotées de la signalisation adéquate ne permettent pas de soulager ses besoins de manière discrète et épurée. C’est ainsi qu’on peut découvrir sur certains parkings des étrons de belle facture, judicieusement signalés par des petits papiers blancs dans lesquels le doigt a laissé son empreinte.
On voit par-là que la fibre fait travailler les intestins.

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