Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour.
Le progrès fait rage et nos édiles autant que les média nous assourdissent de
toutes les nouveautés, innovations et autres prouesses techniques. Parmi
celles-ci, il y a ce qu’il est convenu d’appeler jusqu’à nouvel ordre le très
haut débit. Et ce très haut débit – le THD comme se complaisent à le nommer les
acronymophiles – sera lui-même porté jusqu’au plus profond de la France par une
fibre dite optique qui sert à véhiculer l’information sous forme lumineuse à
une vitesse surprenante. Gageons toutefois que bientôt ce très haut débit sera
supplanté par quelque ultra haut débit qui nous débitera à la vitesse de la
lumière tant les dernières informations scientifiques que –et surtout- les
sottises les plus balourdes des média et des réseaux sociaux. Mais il paraît
que l’on n’arrête pas le progrès !
Pour assurer l’installation de cette fibre, il
est quand même nécessaire de réaliser des travaux, installer des tuyaux,
câbler et connecter des conducteurs et
que sais-je ? C’est ainsi que l’on voit fleurir sur les routes des sens
alternés, des limitations de vitesse et autres signalisations adéquates. Des
fourgons circulent en tous sens, des rouleaux de câble sont stockés çà et là,
piétons, cyclistes et automobilistes n’ont qu’à bien se tenir, des chefs, des
sous-chefs, des contre-chefs et des entre-chefs circulent, casqués et
fluogiletés, le geste auguste et la bombe Btp en bandoulière. Déjà avaient
fleuris sur nos routes de campagne moult signes cabalistiques dont le sens nous
apparaît quelque peu évident maintenant. Et des ouvriers s’affairent, fonçant à
toute allure dans leurs fourgonnettes aux armes de leurs entreprises, parfois
insoucieux de la signalisation qu’ils ont eux-mêmes mis en place.
Mais, que diable, quand on apporte le progrès, n’a-t-on pas toutes les
priorités ?
Imaginez tout ce que vous apportera le très haut
débit, le cinéma en streaming, les vidéoconférences, l’information du monde
entier et, le fin du fin, la transmission d’images en trois dimensions (3D pour
les intimes) qui, une fois envoyées dans l’imprimante éponyme, vous permettront
d’obtenir une variété infinie d’objets en plastique coulé plus facilement qu’un
rapport en 36 pages. Bientôt, vous
entrerez dans votre ordinateur pour vous télétransporter à l’autre bout de la
planète où vous vous virtualiserez sous forme de galette virtuelle. Car c’est
là le bout du bout du fin du fin du progrès : la virtualité. Vous
commanderez des poireaux sur le net et vous en recevrez une botte virtuelle
pour peu que vous ayez une carte de crédit tant appropriée qu’approvisionnée.
Le virtuel sera l’aboutissement ultime de notre modernité et nous nous
déplacerons dans un univers hologrammatique délicieux, ouaté et parfumé.
Toutefois, d’ici à ce que l’on y arrive, notre
monde reste irrémédiablement matériel et on peut le constater à l’examen des
travaux en cours : ces ouvriers qui installent et tirent ces câbles ne
sont point des êtres virtuels, ils ont des besoins comme les autres et, œuvrant
jusque dans les plus petites communes de notre pays, lesquelles lorsqu’elles ne
sont soit pas pourvues de toilettes publiques soit par dotées de la
signalisation adéquate ne permettent pas de soulager ses besoins de manière
discrète et épurée. C’est ainsi qu’on peut découvrir sur certains parkings des
étrons de belle facture, judicieusement signalés par des petits papiers blancs
dans lesquels le doigt a laissé son empreinte.
On voit par-là que la fibre fait travailler les
intestins.
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