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jeudi 7 juin 2018

Le temps de l'éternité (6)



Pijm remonte dans sa voiture et fait demi-tour. Au bout du chemin, il reprend la route vers Luxignac. Un peu plus loin, il se gare dans une entrée de champ. Cette maison lui a donné le tournis et c’est la première fois que cela lui arrive. Non seulement les dimensions imposantes de la maison, des pièces et des alentours l’impressionnent mais encore il sent une atmosphère énigmatique dont il croit avoir quelques effluves sur ses vêtements. Pour lui, Pijm, l’absence de vie dans cette maison, ce petit château, n’est qu’apparente et, même dépouillée de son ameublement, elle lui semble avoir une vie propre.
Il repense à cette porte restée ouverte. Il frissonne à l’idée de revenir dans cette maison cette nuit. Il sait très bien que c’est une sorte de violation de domicile, même si la maison est inhabitée. Il est quelqu’un de posé, respectueux des lois et des convenances. Mais il y a pour lui une attirance tellement forte qu’il ne peut abandonner cette idée.
Il sort de la voiture et allume une cigarette. Son regard erre sur les champs de tournesol. Il tire quelques bouffées et se remet au volant. Sa décision est prise. Il reviendra cette nuit dans la maison

*


En chemin, il réfléchit. Christian est absent l’après-midi, mais rien ne permet de penser que Thérèse l’accompagne. Si Pijm veut entrer dans la maison, il ne peut en aucun cas passer devant la maison de gardien en voiture. Mais pas plus à pied, pense-t-il. Le chemin continue après la maison, il aboutit certainement quelque part, mais encore faut-il savoir où. Le mieux est d’acheter une carte au 25.000ème, une carte de randonnée. Ou bien, s il y a un cybercafé à Luxignac, Pijm peut aller voir sur le net. Ou les deux. Quoiqu’il en soit, il doit passer par Luxignac pour rejoindre sa femme et ses deux filles. Il ne sait pas encore sous quel prétexte il s’absentera ce soir, mais il trouvera. Il sait bien qu’il n’est pas indispensable, ses femmes n’ont pas besoin de lui pour passer la soirée.

A Luxignac, le marchand de journaux vend effectivement des cartes de randonnée et la section Luxignac va fort heureusement jusqu’à Bourgnazan. Après l’achat de cette carte et d’une pile pour sa lampe de poche, Pijm s’informe au sujet de ce cybercafé dont il a entendu parler et il s’y rend à pied.

*

De l’extérieur, le café semble exigu, mais à l’intérieur il y a une sorte d’entrée avec un bar. Sur l’arrière, des ordinateurs sont installés dans une véranda lumineuse. Pijm prend connaissance des conditions d’utilisation et s’installe face à un écran. En s’aidant de sa carte, il repère La Furetière et son chemin d’accès. Sur la carte, le chemin fait une fourche une centaine de mètres après la porte d’entrée de la cuisine. Un bras part à gauche et se divise encore, apparemment en descendant dans la vallée, et un autre bras part sur la droite pour rejoindre une petite route qui vient de la route Bourgnazan-Luxignac. Sur la vue satellite, il semble que ce chemin ne passe devant aucune maison, qu’il traverse surtout des bois et qu’il est praticable au moins à pied. Pijm arrête sa consultation, il va au bar, demande un café et, voyant qu’ils ont des sandwiches, en commande un. Il est intérieurement surexcité et il a besoin de se calmer un peu avant de retrouver sa famille. Il a de la chance, le jeune homme qui tient le cybercafé est en veine de discussion et Pijm en profite pour se renseigner sur la région. C’est ainsi qu’il apprend que Luxignac n’est pas dans le même département que Bourgnazan et qu’il se rend compte que la limite départementale doit passer non loin de La Furetière. Au bout d’une demi-heure, il repart pourvu de plaquettes touristiques et de dépliants.
Il est bien plus serein lorsqu’il arrive au lac et il en profite même pour se baigner, jouir du soleil et jouer au ballon dans l’eau avec ses filles.
Il revient sur la plage de sable fin, se sèche, se rhabille et s’installe sur une couverture à coté de sa femme.
-          Alors, tu as vu des choses intéressantes ? Demande Lisa.
-          Oui, oui, et j’ai même un rendez-vous ce soir vers dix heures pour plus de renseignements, répond Pijm, content d’aborder le sujet.
-          Mais as-tu l’intention d’acheter un jour une maison dans le sud de la France ? Je ne pense pas que ce soit dans nos moyens, même si cela est agréable. Et cela nous obligerait à revenir chaque année au même endroit.
-          Tu sais, je ne vais pas voir des maisons pour nous, mais nous avons beaucoup d’amis…
-          Je sais que tu montre les résultats de tes visites à tes amis, mais ils se contentent de regarder les photos…
-          Bien sûr, Lisa, mais tu sais que cela m’intéresse toujours ces visites.
-          Oui, je le sais, mais je pense parfois que tu fais perdre du temps à tous ces gens qui acceptent de te faire visiter leur maison.
-          C’est le commerce, Lisa, il y a beaucoup de gens qui regardent des choses qu’ils ne veulent pas acheter. Et puis, un jour, il y en a un qui achète et le commerçant est content.
-          Oui, mais ce ne sont pas des commerçants, ce sont des gens comme nous, simplement ils vendent leur maison, objecte Lisa.
-          Alors je dis que moi je suis un commerçant et que je fais comme un commerçant, conclut sans grâce Pijm.
(à suivre...)

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