Pijm
va vers la maison, à la porte-fenêtre du fond du couloir. Le volet est resté
déverrouillé. Il le tire. Il prend doucement la poignée de la porte, la tire
vers lui puis l’abaisse. La gâche s’efface sans bruit. Il pousse alors la porte
qui s’ouvre avec un très léger grincement et un frottement qui l’inquiètent un
peu. Il entre et repousse la porte. Il avance dans le couloir sombre. D’un
coup, la lumière de sa lampe baisse d’intensité. Cela n’était pas
prévisible : la pile est neuve. Il secoue un peu la lampe, l’ouvre puis la
referme, rien n’y fait.
Il
éteint sa lampe, déçu. Va-t-il devoir repartir sans assouvir ce désir qu’il a
de voir cette maison dans sa vie intime ?
Soudain,
il se rend compte que certaines parties de la maison sont lumineuses, comme si
elles l’appelaient. Il s’avance vers l’antichambre qui donne sur la terrasse,
discrètement éclairée par un peu de lune. De là, il voit qu’il y a de la
lumière dans la salle à manger. Il s’approche de la porte qui est entrebâillée
et risque un œil. Il est saisi de stupeur.
La
lumière vient de deux chandeliers sur une grande table couverte d’une nappe
blanche. Le couvert est mis, il y a une coupe pleine de fruits au milieu de la
table. Pijm voit maintenant des personnages fantomatiques entourer la table. Un
homme assez jeune semble être le maître de maison et invite les autres à
s’asseoir. Ils sont tous élégamment habillés, mais à une mode très ancienne qu’il
ne pourrait définir. Le jeune homme s’assoit à un bout de la table et, à
l’autre bout face à lui, une jeune femme au teint très pâle prend place. Les
autres convives sont des dames et des messieurs dont le visage est un peu flou.
La conversation semble languissante. Pijm ne sait plus où il se trouve, s’il
rêve ou s’il est éveillé. La pièce est joliment meublée en style
Louis-Philippe. Sur le dessus de la cheminée, la scène de chasse a fait place à
un tableau champêtre. Une domestique entre par la porte venant de l’office et
dépose un grand plat d’entrées devant la maîtresse de maison qui se sert et
passe le plat au personnage qui se tient à sa droite. Le plat circule autour de
la table et quand tous sont servis, la maîtresse de maison commence à manger, suivie
de ses commensaux. « Monsieur Royer, nous sommes entre nous, auriez-vous
l’amabilité de servir le vin de votre côté de la table, pendant que je sers mes
voisins ? » dit le maître de maison au monsieur qui se trouve à la
gauche de son épouse. Celui-ci acquiesce aimablement et s’empare d’une
bouteille dont il verse le début à sa voisine de droite, qui le goûte et
approuve. Puis le maître de maison prend la parole.
-
Chers amis, plusieurs raisons font que nous nous
réunissons ici ce soir, dit-il. Mais je voudrais tout d’abord rendre hommage à
notre cher Henri Sarlovèze nommé, pardon élu, au poste de sénateur.
-
Vous auriez presque la dent dure, mon cher,
intervient le personnage à droite de la maîtresse de maison, nous savons bien
que les sénateurs sont élus par les grands électeurs. Je vous remercie d’avoir
corrigé par vous-même, ajoute-t-il en souriant.
-
Mon cher Henri, je vous taquine, nous sommes ici
entre amis et gens de bonne compagnie. Je me suis permis de commencer en
parlant de vous, mais je vous rends hommage en toute sincérité. Et je sais que
nos amis ici présents se joignent à moi.
-
C’est pour ma part tout à fait exact, je ne peux
que vous féliciter sincèrement pour votre accession à ce poste de sénateur de
Lot-et-Garonne, intervient Royer à gauche de la maîtresse de maison.
(à suivre...)
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