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dimanche 21 octobre 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (6)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « Parlez-moi d’moi, y’a qu’ça qui m’intéresse, parlez-moi d’moi, y’a qu’ça qui m’donne d’l’émoi » chantait Guy Béart à une époque déjà bien révolue. Dans un élan égotiste impétueux, je vous ai livré deux précédentes chroniques qui traitaient du sujet et voilà que, tel Narcisse glissant dans l’eau de la source et au risque de m’y noyer, je vais replonger dans les affres de la chronique. Car voilà bien le mot dont nous allons parler et tout d’abord, enquérons-nous de la signification du mot chronique. Loin de mes dictionnaires chéris, il me restait le Wikipédia, encyclopédie à tout faire de la toile mais si commode pour les gens pressés ou en voyage. Et que vois-je de prime abord, je résume bien sûr, je lis qu’une chronique est une maladie qui dure longtemps et se développe lentement, ou que c’est une chose nuisible qui dure et se répète. Vous imaginez l’angoisse qu’une telle lecture déclencha en moi jusqu’à ce que j’aperçusse qu’il s’agissait du mot chronique pris en tant qu’adjectif. Haut les cœurs, sursum corda comme l’on dit au Vatican, et j’appuyai sur la flèche  de mon intelligentophone (mon smartphone comme l’on dit Baker street) pour découvrir le sens en tant que substantif de genre féminin, à savoir qu’il peut s’agir soit d’un recueil de faits historiques, soit de l’ensemble des nouvelles qui circulent, soit enfin d’une partie d’un journal consacrée à un sujet particulier. Je fus rassuré et me portai aussitôt vers des études de cas.
En effet, il y a moult chroniqueurs sur moult radios, CoolDirect n’étant pas la moindre. Bien sûr, il y a nombre de chroniques thématiques, médicales, sportives, culinaires, œnologiques, bricolage et astuces et j’en passe. Mais il y a aussi les chroniques d’actualité dont la principale radio de service public française ne se prive pas : il y a certes la politique nationale, la géopolitique, l’économie, le cinéma et autres sujets sérieux. Mais ce qui est devenu une mode, pour ne pas dire un tic de société, c’est la chronique qui parle de l’actualité où le chroniqueur, sur le mode bouffon, crie, hurle, chante, éructe un certain nombre de commentaires parodiant de loin l’actualité politique. Tout cela sur fond de fou-rires et d’éclats d’hilarité dont on ne sait s’ils sont préenregistrés ou s’ils sont dus à la connivence des journalistes présents dans le studio. En définitive, une sauce peu audible agrémentée à la bienpensance locale. Pour échapper à ce gloubi-boulga, je revins aussitôt sur ma station préférée en méditant à ce que pourrait être une chronique généraliste quoique particulière et inversement réciproquement.
Tout à ma rêverie, je me mis à imaginer des chroniques qui ressembleraient aux œuvres graphiques de Maurits Cornelis Escher, cet étonnant dessinateur, graveur et peintre néerlandais. Il a créé un univers artistique, géométrique et labyrinthique que l’on ne peut explorer qu’en s’y perdant, un monde où la main droite dessine sa propre main gauche, où les nuages deviennent des fleurs étonnantes, où des escaliers sans fin aboutissent dans un infini céleste, où des visages deviennent poissons et où des poissons deviennent océan, Les perspectives se dilatent, l’œil devient le reflet de la mort et des fourmis, inlassablement, déambulent sur un anneau de Moebius, comme pour une éternité dont l’absurdité n’est qu’apparente. Car Escher décrit l’univers mieux que ne pourrait le faire le réalisme le plus concret, avec lui la porte du ciel est au bout des degrés, sur le dernier palier de l’infini.
Est-il ainsi possible de vous livrer une chronique fractale dont les mots deviendraient des marches, les phrases des escaliers, la syntaxe une chausse-trappe, où les verbes seraient poissons et les poissons des engrenages, où les nains deviendraient fleurs et le chroniqueur pétale de rose.
On voit par-là que tout ce qui est rare Escher.

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