Pijm remonte dans sa voiture et ils reviennent ensemble à
Bourgnazan où il dépose Lisa et ses filles. Puis il se rend chez Tomi. Celui-ci
est tranquillement assis à l’ombre près d’une table et boit une bière avec un
autre homme à la voix forte et rocailleuse.
-
T’as senti l’apéro, l’interpelle joyeusement
Tomi. Tu veux une bière ou autre chose, un pastis…
-
Non merci, pas de pastis, une bière comme vous,
répond Pijm.
-
Ça vient, assieds-toi. Je te présente
Jean-Claude, dit Galipette, l’homme qui sait tout et même plus.
-
Oh, oh, doucement Tomi, dit l’intéressé qui tend
une main vers Pijm. Excusez-moi, mais je reste assis, j’ai moissonné moi aujourd’hui…
-
Bonjour, moi je suis Pijm…
-
Alors, coupe J-C Galipette, c’est vous
l’hollandais qui est intéressé par La Furetière ?
-
Oui, mais comme ceci comme cela, je ne suis pas
acheteur savez-vous…
-
On dit toujours ça, mais je vous préviens, c’est
un sacré morceau, on vous a dit le prix qu’ils en demandent ?
-
Non, non, je suis intéressé d’avoir des
renseignements mais je ne sais rien de plus…
-
Huit-cent cinquante-mille euros qu’ils en
veulent ! Ils ne les feront jamais. D’accord, il y a soixante-cinq
hectares en tout, mais pas que de la terre labourable. Il y a des pentes, des
bois, des landes et les terres c’est beaucoup de la pierre et du rocher. Quand
il fait sec, c’est vraiment pas de la première catégorie. Quand il fait sec ici,
moi je vous le dit, il fait sec…
-
Oui, je comprends bien, répond Pijm.
-
Et puis, il n’y a plus de bétail sur les
prairies, juste un moutonnier qui passe avec son troupeau. Les terres
labourables sont faites à l’entreprise, l’entreprise vient quand elle peut ou quand
elle veut. Il pousse moins de blé que de couilloule, de la folle avoine
quoi ! Et puis, vous savez, les bâtisses, il y a de quoi faire, je les
connais, moi, ces bâtiments, il y a des frais, rien que les toitures sans
compter le reste…
-
Je vous crois, monsieur, concède Pijm.
-
Oh ! Pass tant de moussu, maï d’arzen,
reprend Galipette. Vous savez pas le patois, vous ? C’est pas la peine de
m’appeler monsieur ! Moi c’est Jean-Claude, ou Galipette si vous voulez,
mais pas monsieur, ça c’est bon pour les princes de l’agenais, les gens de la
ville. Ici, on est entre nous, pas de manières…
-
Allez, on trinque, dit Tomi en posant trois
bières fraiches sur la table. Tchin !
-
Ce que j’aimerais savoir, dit Pijm en reprenant
vite la parole, c’est un peu l’histoire de la maison. Vous connaissiez les
propriétaires ?
-
Ah oui, je les connaissais les Valoire, surtout
le dernier, Edgar. Je suis un des derniers à l’avoir vu vivant, répond
Galipette.
-
Ils étaient quatre frères ?
-
Il y en a toujours deux, mais ces deux là, on ne
les voit jamais, je ne sais pas si je les ai jamais vus. Il en est passé
tellement de monde par moments… Mais les deux plus jeunes, Raymond et Edgar, ça
je les ai connus ; encore que Raymond, c’est plutôt mon père qui l’a
connu. Pensez, il l’a vu mourir ! Vous savez comment ça s’est passé ?
-
Non.
-
Mon père, s’il me l’a pas raconté mille fois, il
me l’a jamais raconté. Il s’est retourné avec le tracteur, Raymond. C’était pas
beau à voir il paraît. Le Raymond, on sait pas quand ça lui est arrivé. C’est
le facteur qui a donné l’alerte. Il était passé à La Furetière, pendant deux ou
trois jours, personne. Le chien aboyait devant la maison, comme ça, sans raison
on aurait cru, juste pour aboyer. Mais en plus, y’avait deux veaux dans la
grange, deux repoutets, vous savez pas ce que c’est, vous, c’est des petits
bedels, des nourrissons, ils gueulaient ceux-là, comme des veaux, pardi !
Il a prévenu le maire qui y est allé avec mon père et le voisin, Léon Roumegoux.
Ils ont vu que les veaux avaient pas tété. Le chien était comme fou en les
voyants. Ils ont cherché partout et, dans une combe, ils ont trouvé le tracteur
les quatre pattes en l’air. Le Raymond était dessous, ils ont jamais compris
comment il avait fait pour rester vivant pendant tout ce temps. Ils ne
pouvaient pas le dégager de là-dessous. Léon est parti appeler les pompiers,
y’avait pas de portable à l’époque. Les pompiers ont réussi à le dégager et il
est mort juste après, pratiquement dans les bras de mon vieux. Au dernier
moment, il a réussi à dire « adieu, Charlie » à mon père. Je peux
vous dire qu’il en a fait des cauchemars longtemps, le vieux. Enfin, bref,
c’était Raymond qui avait toujours fait tourner la ferme. Edgar, lui il venait
quand ça lui chantait. Edgar habitait le château et Raymond, lui, il a toujours
habité la ferme. La ferme, c’est là où il y a ce jeune, le Christian… Après sa
mort, Edgar est venu s’installer définitivement à La Furetière. Je sais pas de
quoi il vivait, il laissait les terres à un fermier, un type qui venait de
Luxignac. Il aurait pu me les faire travailler à moi, mais non. Lui, quand il
avait une idée dans la tête, il l’avait pas ailleurs. On était amis, je venais
le voir souvent, je lui portais des légumes, du bois, il me rendait un coup de
main. On buvait de bons coups, ça oui. Tiens, c’est pas comme ici, ma bouteille
est vide !
-
Un instant, je vais au frigo, dit Tomi.
(à suivre...)
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