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jeudi 4 octobre 2018

Le temps de l'éternité (23)


Pijm remonte dans sa voiture et ils reviennent ensemble à Bourgnazan où il dépose Lisa et ses filles. Puis il se rend chez Tomi. Celui-ci est tranquillement assis à l’ombre près d’une table et boit une bière avec un autre homme à la voix forte et rocailleuse.

-          T’as senti l’apéro, l’interpelle joyeusement Tomi. Tu veux une bière ou autre chose, un pastis…
-          Non merci, pas de pastis, une bière comme vous, répond Pijm.
-          Ça vient, assieds-toi. Je te présente Jean-Claude, dit Galipette, l’homme qui sait tout et même plus.
-          Oh, oh, doucement Tomi, dit l’intéressé qui tend une main vers Pijm. Excusez-moi, mais je reste assis, j’ai moissonné moi aujourd’hui…
-          Bonjour, moi je suis Pijm…
-          Alors, coupe J-C Galipette, c’est vous l’hollandais qui est intéressé par La Furetière ?
-          Oui, mais comme ceci comme cela, je ne suis pas acheteur savez-vous…
-          On dit toujours ça, mais je vous préviens, c’est un sacré morceau, on vous a dit le prix qu’ils en demandent ?
-          Non, non, je suis intéressé d’avoir des renseignements mais je ne sais rien de plus…
-          Huit-cent cinquante-mille euros qu’ils en veulent ! Ils ne les feront jamais. D’accord, il y a soixante-cinq hectares en tout, mais pas que de la terre labourable. Il y a des pentes, des bois, des landes et les terres c’est beaucoup de la pierre et du rocher. Quand il fait sec, c’est vraiment pas de la première catégorie. Quand il fait sec ici, moi je vous le dit, il fait sec…
-          Oui, je comprends bien, répond Pijm.
-          Et puis, il n’y a plus de bétail sur les prairies, juste un moutonnier qui passe avec son troupeau. Les terres labourables sont faites à l’entreprise, l’entreprise vient quand elle peut ou quand elle veut. Il pousse moins de blé que de couilloule, de la folle avoine quoi ! Et puis, vous savez, les bâtisses, il y a de quoi faire, je les connais, moi, ces bâtiments, il y a des frais, rien que les toitures sans compter le reste…
-          Je vous crois, monsieur, concède Pijm.
-          Oh ! Pass tant de moussu, maï d’arzen, reprend Galipette. Vous savez pas le patois, vous ? C’est pas la peine de m’appeler monsieur ! Moi c’est Jean-Claude, ou Galipette si vous voulez, mais pas monsieur, ça c’est bon pour les princes de l’agenais, les gens de la ville. Ici, on est entre nous, pas de manières…
-          Allez, on trinque, dit Tomi en posant trois bières fraiches sur la table. Tchin !
-          Ce que j’aimerais savoir, dit Pijm en reprenant vite la parole, c’est un peu l’histoire de la maison. Vous connaissiez les propriétaires ?
-          Ah oui, je les connaissais les Valoire, surtout le dernier, Edgar. Je suis un des derniers à l’avoir vu vivant, répond Galipette.
-          Ils étaient quatre frères ?
-          Il y en a toujours deux, mais ces deux là, on ne les voit jamais, je ne sais pas si je les ai jamais vus. Il en est passé tellement de monde par moments… Mais les deux plus jeunes, Raymond et Edgar, ça je les ai connus ; encore que Raymond, c’est plutôt mon père qui l’a connu. Pensez, il l’a vu mourir ! Vous savez comment ça s’est passé ?
-          Non.
-          Mon père, s’il me l’a pas raconté mille fois, il me l’a jamais raconté. Il s’est retourné avec le tracteur, Raymond. C’était pas beau à voir il paraît. Le Raymond, on sait pas quand ça lui est arrivé. C’est le facteur qui a donné l’alerte. Il était passé à La Furetière, pendant deux ou trois jours, personne. Le chien aboyait devant la maison, comme ça, sans raison on aurait cru, juste pour aboyer. Mais en plus, y’avait deux veaux dans la grange, deux repoutets, vous savez pas ce que c’est, vous, c’est des petits bedels, des nourrissons, ils gueulaient ceux-là, comme des veaux, pardi ! Il a prévenu le maire qui y est allé avec mon père et le voisin, Léon Roumegoux. Ils ont vu que les veaux avaient pas tété. Le chien était comme fou en les voyants. Ils ont cherché partout et, dans une combe, ils ont trouvé le tracteur les quatre pattes en l’air. Le Raymond était dessous, ils ont jamais compris comment il avait fait pour rester vivant pendant tout ce temps. Ils ne pouvaient pas le dégager de là-dessous. Léon est parti appeler les pompiers, y’avait pas de portable à l’époque. Les pompiers ont réussi à le dégager et il est mort juste après, pratiquement dans les bras de mon vieux. Au dernier moment, il a réussi à dire « adieu, Charlie » à mon père. Je peux vous dire qu’il en a fait des cauchemars longtemps, le vieux. Enfin, bref, c’était Raymond qui avait toujours fait tourner la ferme. Edgar, lui il venait quand ça lui chantait. Edgar habitait le château et Raymond, lui, il a toujours habité la ferme. La ferme, c’est là où il y a ce jeune, le Christian… Après sa mort, Edgar est venu s’installer définitivement à La Furetière. Je sais pas de quoi il vivait, il laissait les terres à un fermier, un type qui venait de Luxignac. Il aurait pu me les faire travailler à moi, mais non. Lui, quand il avait une idée dans la tête, il l’avait pas ailleurs. On était amis, je venais le voir souvent, je lui portais des légumes, du bois, il me rendait un coup de main. On buvait de bons coups, ça oui. Tiens, c’est pas comme ici, ma bouteille est vide !
-          Un instant, je vais au frigo, dit Tomi.
(à suivre...)

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