-
Ah, ce Tomi, c’est un type bien. Et toi, tu
t’appelles comment encore ? Demande Galipette à Pijm.
-
Je
suis Pijm, Pijm van Zwartkluut.
-
Comment tu dis ? Ça s’écrit comment ? Enfin,
je veux dire, ton prénom ?
-
Pijm, P I J M, c’est hollandais.
-
Pijeme ? Comme un pyjama ?
-
Ça se prononce comme paie me, dit Tomi.
-
Eh bé, ça tombe bien, mon petit pyjama. C’est
toi qui a une belle femme blonde ? Et deux filles ?
-
Oui, oui…
-
Il faut que tu me les présentes, je veux bien
être copain avec toi mais tu peux bien me présenter ta femme et tes
filles !
-
Oui, oui, on verra, tente d’éluder Pijm.
-
On verra, qui vivra verra et si je te laisse
faire, je verrai rien. Justement, tu as un nom qui va bien…tu pourrais m’inviter
au restaurant un de ces jours.
-
Peut-être, je ne sais pas…
-
Justement, cela veut dire : paie-me le
restaurant. Avec ce prénom, t’y coupes pas Paie-me le restau, avec ta femme et
tes filles. Des sacrées pouliches, tes gonzesses ! On les voit souvent à Luxignac.
Tiens, demain c’est samedi, tu pourrais m’inviter…
-
Oui, c’est vrai, finit par dire Pijm.
-
Bien, alors je continue. Edgar est venu
s’installer à La Furetière, il était pas tout seul, il est arrivé avec une
gonzesse. Celle-là, je peux te dire, elle lui en a fait voir. Mais c’était bien
fait pour sa gueule, il était jaloux comme un pied. Un vrai pied jaloux !
Ah, ah, ah ! Pied jaloux, tu as compris ?
-
Ah, un piège à loup ?
-
Oui, ah ah ah ! Bon, il était jaloux et
elle lui donnait des raisons de l’être. J’ai rien à me reprocher, j’me la suis
jamais baisée. Mais d’autres s’en sont chargés. Enfin, elle est partie. Puis il
y en a eu une autre, puis une autre, on savait jamais avec laquelle il était,
il y avait du monde qui passait là-bas, ça faisait la java, je te dis pas.
Puis, il est tombé malade, un drôle de truc, par moments ça allait puis tu
revenais le voir trois jours après, on aurait dit qu’il allait crever. J’ai
jamais su ce que c’était comme maladie. Il a traîné comme cela pendant au moins
deux ans, j’allais le voir de temps en temps mais il n’y avait plus que moi qui
allais le voir. Même le toubib n’y allait plus, Edgar voulait plus les voir,
les toubibs. Jusqu’au jour où je suis arrivé à La Furetière, il était dans la
cuisine, par terre, dans son vomi, une crasse incroyable. C’était il y a un peu
plus d’un an. J’ai appelé le Samu, les pompiers, ils sont venus, ils l’ont
emporté mais il est mort dans l’ambulance avant d’arriver à l’hôpital. Je suis
pas le dernier à l’avoir vu, mais en quelque sorte oui... C’est moi qui me suis
chargé des obsèques, de l’enterrement et tout. Les frères ont envoyé de
l’argent mais ils sont venus plus tard, je ne les ai pas vus, ils sont venus
avec un gars pour faire vider la maison, ils ont vu le notaire et basta, chacun
est reparti chez soi. La maison du gardien, où il y avait Raymond, ils l’ont
louée à ce Christian qui fait office de gardien et les terres sont faites à
l’entreprise. C’est sûr que si un gars sérieux achetait le tout, il louerait
les terres à un type qui sait travailler, un type comme moi, comme Tomi, par
exemple, ça prendrait une toute autre allure. Tandis que maintenant, ça part à
la friche…enfin, tu me comprends…
-
Oui, et ces gens, il y avait longtemps qu’ils
étaient à La Furetière ?
-
Ouf ! Je sais plus ! C’était dans les
années soixante, j’étais encore à l’école à Bourgnazan, Edgar lui, il était à
Loupias, on était pas à la même école. Mais bon, on se retrouvait le samedi et
le dimanche, y’avait les fils Roumegoux, moi, les Jordet, enfin toute une
clique. Et l’Edgar, c’était pas le dernier pour faire des conneries, j’te l’dis…
-
Et les parents ?
-
Les parents, alors ça, vraiment il n’y a pas eu
de chance dans cette famille. Les parents, ils venaient du Nord, je sais pas
d’où. Mais ils y retournaient souvent. Ils ont eu un accident, un hiver, du
côté de Périgueux, une plaque de verglas, une autre voiture qui arrivait en
face, morts tous les deux. Sur le coup. Le Raymond, il était pas trop préparé à
cela, il a repris la propriété, c’est resté en indivision, les autres frères,
encore une histoire bizarre… Les deux frères ainés, c’est des enfants adoptifs,
les parents Valoire, il semblait qu’ils pouvaient pas avoir d’enfants et ils étaient
à une époque en Indochine. Ils avaient adopté deux petits indochinois, des yeux
bridés quoi ! Et puis un jour, paf, il leur sort le Raymond. Ils étaient
contents, la machine s’était débloquée sans doute. Et puis, cinq ou six ou sept
ou huit ans après, un autre qui arrive, notre Edgar. Je sais pas ce qui les a
poussés à venir s’installer ici, bon, ils avaient du fric, ils ont acheté La
Furetière quand Edgar avait douze ou treize ans, Raymond une vingtaine. Les deux
autres, les chinetoques, eux, on ne les a jamais vraiment vus mais ils étaient
plus âgés. Donc, Raymond a repris la propriété, son frangin faisait ce qu’il
voulait, il allait à l’école quand ça lui chantait, personne disait rien, tu
penses, les pauvres avaient eu déjà bien du malheur. Quand il a eu dix-sept ou
dix-huit ans, l’Edgar lui, il est parti dans de la famille dans le Nord, puis
il a galopé ici et là. De toute façon, il restait du fric en caisse, le
Raymond, il était pas salaud, il lui en envoyait un peu de temps en temps. Je
raconte pas des conneries, c’est lui, Edgar, qui me l’a dit. C’est leur
histoire, finalement c’est un peu triste mais la vie est comme ça…Après la mort
d’Edgar, les deux frères sont venus, chacun de son côté je crois, mais
incognito, j’ai vu personne…
-
Et alors, ils avaient acheté à qui les
parents ? Demande Pijm.
-
Là, tu m’en demande trop, ça a appartenu à des
banquiers, est-ce que je sais, ni moi ni mes parents on ne les connaissait
vraiment, le seul qui pourrait - peut-être et encore ?- dire quelque
chose, c’est Amédée Boriais, un voisin de l’autre côté. Son père était
militaire en retraite, c’est lui qui touchait les fermages et qui les portait
au propriétaire. Bon mais Amédée, il a quatre-vingt-quinze ou seize ans
maintenant, je sais pas s’il arriverait à se souvenir encore. Tu peux aller le
voir, il est à Lostaune, c’est de l’autre côté de La Furetière. Mais il sort
presque plus de chez lui. Si tu y vas, tu as intérêt à frapper fort, il est un
peu sourd, l’Amédée… Avant la guerre, ma mère pourrait t’en parler si elle se
souvient. C’était un nommé Birgat, monsieur Birgat. Elle l’a connu, celui-là,
quand elle était petite. Mais il te faut la voir à elle, t’as qu’à venir la
voir. Bon mais je dois m’en aller, je cause, je cause, mais je dois y aller.
Bon, alors ? Paie-me, tu me le paies ce restaurant ? Mais, tu me
présentes ta femme et tes filles, sinon c’est pas la peine, je veux pas manger
en tête à tête avec toi… ah ah ah !
-
Oui, oui. Je peux venir voir votre mère demain
matin ?
-
Ah non, la vieille fait le marché le samedi
matin, t’auras qu’à venir la voir après déjeuner, elle fait une petite sieste mais
à trois heures c’est bon. Comme ça tu as le temps de m’inviter avant. T’as qu’à
aller voir Amédée demain matin, s’il est en forme, il peut parler pendant des
heures. Bon, j’y vais. Adiou, Paie-me, et à demain midi au restaurant de
Bourgnazan !
-
A demain, dit Pijm.
*
(à suivre...)
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