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jeudi 11 octobre 2018

Le temps de l'éternité (24)


-          Ah, ce Tomi, c’est un type bien. Et toi, tu t’appelles comment encore ? Demande Galipette à Pijm.
-          Je suis Pijm, Pijm van Zwartkluut.
-          Comment tu dis ? Ça s’écrit comment ? Enfin, je veux dire, ton prénom ?
-          Pijm, P I J M, c’est hollandais.
-          Pijeme ? Comme un pyjama ?
-          Ça se prononce comme paie me, dit Tomi.
-          Eh bé, ça tombe bien, mon petit pyjama. C’est toi qui a une belle femme blonde ? Et deux filles ?
-          Oui, oui…
-          Il faut que tu me les présentes, je veux bien être copain avec toi mais tu peux bien me présenter ta femme et tes filles !
-          Oui, oui, on verra, tente d’éluder Pijm.
-          On verra, qui vivra verra et si je te laisse faire, je verrai rien. Justement, tu as un nom qui va bien…tu pourrais m’inviter au restaurant un de ces jours.
-          Peut-être, je ne sais pas…
-          Justement, cela veut dire : paie-me le restaurant. Avec ce prénom, t’y coupes pas Paie-me le restau, avec ta femme et tes filles. Des sacrées pouliches, tes gonzesses ! On les voit souvent à Luxignac. Tiens, demain c’est samedi, tu pourrais m’inviter…
-          Oui, c’est vrai, finit par dire Pijm.
-          Bien, alors je continue. Edgar est venu s’installer à La Furetière, il était pas tout seul, il est arrivé avec une gonzesse. Celle-là, je peux te dire, elle lui en a fait voir. Mais c’était bien fait pour sa gueule, il était jaloux comme un pied. Un vrai pied jaloux ! Ah, ah, ah ! Pied jaloux, tu as compris ?
-          Ah, un piège à loup ?
-          Oui, ah ah ah ! Bon, il était jaloux et elle lui donnait des raisons de l’être. J’ai rien à me reprocher, j’me la suis jamais baisée. Mais d’autres s’en sont chargés. Enfin, elle est partie. Puis il y en a eu une autre, puis une autre, on savait jamais avec laquelle il était, il y avait du monde qui passait là-bas, ça faisait la java, je te dis pas. Puis, il est tombé malade, un drôle de truc, par moments ça allait puis tu revenais le voir trois jours après, on aurait dit qu’il allait crever. J’ai jamais su ce que c’était comme maladie. Il a traîné comme cela pendant au moins deux ans, j’allais le voir de temps en temps mais il n’y avait plus que moi qui allais le voir. Même le toubib n’y allait plus, Edgar voulait plus les voir, les toubibs. Jusqu’au jour où je suis arrivé à La Furetière, il était dans la cuisine, par terre, dans son vomi, une crasse incroyable. C’était il y a un peu plus d’un an. J’ai appelé le Samu, les pompiers, ils sont venus, ils l’ont emporté mais il est mort dans l’ambulance avant d’arriver à l’hôpital. Je suis pas le dernier à l’avoir vu, mais en quelque sorte oui... C’est moi qui me suis chargé des obsèques, de l’enterrement et tout. Les frères ont envoyé de l’argent mais ils sont venus plus tard, je ne les ai pas vus, ils sont venus avec un gars pour faire vider la maison, ils ont vu le notaire et basta, chacun est reparti chez soi. La maison du gardien, où il y avait Raymond, ils l’ont louée à ce Christian qui fait office de gardien et les terres sont faites à l’entreprise. C’est sûr que si un gars sérieux achetait le tout, il louerait les terres à un type qui sait travailler, un type comme moi, comme Tomi, par exemple, ça prendrait une toute autre allure. Tandis que maintenant, ça part à la friche…enfin, tu me comprends…
-          Oui, et ces gens, il y avait longtemps qu’ils étaient à La Furetière ?
-          Ouf ! Je sais plus ! C’était dans les années soixante, j’étais encore à l’école à Bourgnazan, Edgar lui, il était à Loupias, on était pas à la même école. Mais bon, on se retrouvait le samedi et le dimanche, y’avait les fils Roumegoux, moi, les Jordet, enfin toute une clique. Et l’Edgar, c’était pas le dernier pour faire des conneries, j’te l’dis…
-          Et les parents ?
-          Les parents, alors ça, vraiment il n’y a pas eu de chance dans cette famille. Les parents, ils venaient du Nord, je sais pas d’où. Mais ils y retournaient souvent. Ils ont eu un accident, un hiver, du côté de Périgueux, une plaque de verglas, une autre voiture qui arrivait en face, morts tous les deux. Sur le coup. Le Raymond, il était pas trop préparé à cela, il a repris la propriété, c’est resté en indivision, les autres frères, encore une histoire bizarre… Les deux frères ainés, c’est des enfants adoptifs, les parents Valoire, il semblait qu’ils pouvaient pas avoir d’enfants et ils étaient à une époque en Indochine. Ils avaient adopté deux petits indochinois, des yeux bridés quoi ! Et puis un jour, paf, il leur sort le Raymond. Ils étaient contents, la machine s’était débloquée sans doute. Et puis, cinq ou six ou sept ou huit ans après, un autre qui arrive, notre Edgar. Je sais pas ce qui les a poussés à venir s’installer ici, bon, ils avaient du fric, ils ont acheté La Furetière quand Edgar avait douze ou treize ans, Raymond une vingtaine. Les deux autres, les chinetoques, eux, on ne les a jamais vraiment vus mais ils étaient plus âgés. Donc, Raymond a repris la propriété, son frangin faisait ce qu’il voulait, il allait à l’école quand ça lui chantait, personne disait rien, tu penses, les pauvres avaient eu déjà bien du malheur. Quand il a eu dix-sept ou dix-huit ans, l’Edgar lui, il est parti dans de la famille dans le Nord, puis il a galopé ici et là. De toute façon, il restait du fric en caisse, le Raymond, il était pas salaud, il lui en envoyait un peu de temps en temps. Je raconte pas des conneries, c’est lui, Edgar, qui me l’a dit. C’est leur histoire, finalement c’est un peu triste mais la vie est comme ça…Après la mort d’Edgar, les deux frères sont venus, chacun de son côté je crois, mais incognito, j’ai vu personne…
-          Et alors, ils avaient acheté à qui les parents ? Demande Pijm.
-          Là, tu m’en demande trop, ça a appartenu à des banquiers, est-ce que je sais, ni moi ni mes parents on ne les connaissait vraiment, le seul qui pourrait - peut-être et encore ?- dire quelque chose, c’est Amédée Boriais, un voisin de l’autre côté. Son père était militaire en retraite, c’est lui qui touchait les fermages et qui les portait au propriétaire. Bon mais Amédée, il a quatre-vingt-quinze ou seize ans maintenant, je sais pas s’il arriverait à se souvenir encore. Tu peux aller le voir, il est à Lostaune, c’est de l’autre côté de La Furetière. Mais il sort presque plus de chez lui. Si tu y vas, tu as intérêt à frapper fort, il est un peu sourd, l’Amédée… Avant la guerre, ma mère pourrait t’en parler si elle se souvient. C’était un nommé Birgat, monsieur Birgat. Elle l’a connu, celui-là, quand elle était petite. Mais il te faut la voir à elle, t’as qu’à venir la voir. Bon mais je dois m’en aller, je cause, je cause, mais je dois y aller. Bon, alors ? Paie-me, tu me le paies ce restaurant ? Mais, tu me présentes ta femme et tes filles, sinon c’est pas la peine, je veux pas manger en tête à tête avec toi… ah ah ah !
-          Oui, oui. Je peux venir voir votre mère demain matin ?
-          Ah non, la vieille fait le marché le samedi matin, t’auras qu’à venir la voir après déjeuner, elle fait une petite sieste mais à trois heures c’est bon. Comme ça tu as le temps de m’inviter avant. T’as qu’à aller voir Amédée demain matin, s’il est en forme, il peut parler pendant des heures. Bon, j’y vais. Adiou, Paie-me, et à demain midi au restaurant de Bourgnazan !
-          A demain, dit Pijm.

*
(à suivre...)

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