Au volant de sa voiture, il roule doucement. Que
faire ? Il est envoûté par cette maison, ce domaine. Toutes ses pensées
sont fixées sur ce qu’il a vécu l’autre nuit. Vécu ou rêvé ?
Il arrive à un petit village, un bistrot est ouvert. Il
s’arrête, entre, demande un café.et s’installe à la terrasse. A une autre
table, il y a un couple, des touristes certainement, anglais peut-être. Ils
sont là, muets.
Pijm reste une demi-heure à siroter son café, les deux autres
s’en vont. Arrivent trois costauds qui parlent haut et fort. L’heure de l’apéro
approche. Pijm se lève et va regarder à la vitrine de la boulangerie en face.
Il voit qu’ils vendent des sandwiches et des boissons fraîches. Il entre pour acheter
de quoi se restaurer à midi.
Il repart, cette fois en direction de La Furetière. Il ne
prend pas le chemin direct mais cherche le chemin qu’il a pris l’autre soir. En
vingt-quatre heures, le sol a séché en surface. Il retrouve l’endroit où il
s’était garé. Les traces de ses roues sont toujours bien visibles.
Pijm arrête sa voiture et prend, à pied, la direction qu’il
avait prise dans le noir. Il fait très chaud. Il longe un champ de tournesols
d’un jaune intense et doux puis il entre dans le bois. Les lieux paraissent
moins hostiles que la première fois mais il règne une ambiance prenante, suave
du parfum des fleurs d’une luzernière proche et scandée par le chant des grillons.
Il s’assied sur une souche. Il mange tranquillement son sandwiche, s’imprégnant
du temps présent et de la présence du passé. Il est là, tranquille, comme s’il
avait toujours été dans ce paysage, tel ce chêne en face de lui, immobile et
pérenne.
Une heure passe, il se lève et se promène, recherchant
vaguement les ruines de la chapelle. Il ne la retrouve pas, sans regrets ?
Il sait qu’il reviendra. De toute éternité, il devait revenir.
*
A trois heures passées, il revient vers sa voiture et prend
la direction de Lostaune, chez Amédée Boriais. Le vieil homme est habillé cette
fois et ouvre la porte sans l’inviter à entrer.
-
Oui, oui, euh, c’est vous qui êtes venu ce
matin. Je ne sais pas qui vous êtes ! Dit Amédée.
-
Bonjour monsieur, je suis Pijm van Zwartkluut,
je viens de Hollande, je voudrais vous demander des renseignements sur La
Furetière, on m’a dit que vous avez bien connu les propriétaires avant la
guerre…
-
Oui, euh euh, mon père surtout les a connus.
Oui, oui, mais vous avez acheté La Furetière ou vous êtes seulement un
acquéreur, comme on dit ?
-
Je n’ai pas acheté mais je suis très intéressé…
-
Si vous n’avez pas acheté, euh euh, coupe
Amédée, si vous n’êtes pas le propriétaire, je ne vous dirai rien. Vous
comprenez, je sais - ou mon père surtout savait
- pas mal de choses. Mais c’est pour le propriétaire. Les Valoire, les
pauvres, ne m’ont jamais rien demandé, je n’allais pas me précipiter pour leur
en parler. Mais revenez quand vous serez propriétaire, je ne veux avoir affaire
qu’au propriétaire du château.
-
Mais, monsieur, tente Pijm.
-
Non, non, je n’ai rien contre vous, mais je ne
parlerai qu’au vrai propriétaire, excusez-moi, euh euh.
Et il referme doucement la porte, laissant Pijm désemparé
sur le seuil. Il remonte dans sa voiture et repart vers Luxignac.
*
Le dimanche passe vite, les préparatifs de départ et les
invitations ne lui laissent guère le temps de repenser à La Furetière.
Et toute la famille repart le lundi pour les Pays-Bas.
Pijm reprend son travail de directeur de supermarché mais
il vit comme dans un rêve bizarre, il est à Schiedam et se sent toujours à La
Furetière. Il est possédé par ce qu’il a vu et entendu. Il fait son travail
comme un somnambule. A la maison, l’ambiance est lourde, Lisa et les filles le sentent
absent mais elles n’osent plus le lui dire, il les a rabrouées une fois ou
l’autre.
*
Un matin, en arrivant au travail, Pijm allume son
ordinateur et voit un mail en provenance d’un gros distributeur. Cette enseigne
lui propose de négocier la reprise de son magasin, il n’est pas question de
prix mais on lui propose une rencontre dans l’éventualité où il envisagerait
favorablement cette proposition.
Pour Pijm, c’est un déclic et tout va aller très vite. La
proposition du distributeur est intéressante et il arrive même à négocier à la
hausse. Avec l’argent de la vente, il peut rembourser un prêt qu’il avait
contracté. Le magasin lui appartient en propre et il sait qu’il lui reste assez
d’argent pour acheter La Furetière, ce domaine qui n’a cessé de le hanter
depuis qu’il y a posé le pied. Et il annonce tout à trac à Lisa qu’il vend son
magasin et qu’il veut acheter La Furetière. Lisa ne s’attendait pas à cela. La
conversation tourne vite à l’aigre et dans les jours qui suivent, ils décident
de se séparer. Pijm est prêt à s’engager un peu à tout et à n’importe quoi pour
faire cette affaire tranquillement, quitte à abandonner sa famille. Il appelle
un des frères propriétaires, celui qui habite en Suisse. Son interlocuteur lui
confirme le prix annoncé par Galipette mais convient qu’une négociation serait possible, il faudrait voir avec l’autre
frère. Pijm veut à tout prix faire l’affaire mais il ne lâchera pas un cent de
trop. Il obtient, après avoir appelé les deux frères consécutivement, un rabais
de cent-mille euros, soit donc sept-cent cinquante mille euros. Les frères
feront passer des procurations au notaire, Maître Bernard.
Quelques semaines passent, l’affaire est conclue pour le
magasin, les fonds sont envoyés sur un compte bancaire en France, l’acte est
prêt à être signé et Pijm part avec sa voiture pleine de tout ce qu’il possède
comme affaires.
*
(à suivre...)
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