Passé minuit, il se réveille brusquement. Il entend
des appels, on dirait des voix étouffées. Comme la nuit où il s’était trouvé
seul dans la maison, cette fameuse nuit… Il enfile rapidement un vêtement,
prend une lampe et se dirige vers l’escalier de la tour. Il arrive dans la
bibliothèque et – est-ce un hasard ? – sa lampe s’éteint. Il regarde vers
l’escalier qui monte aux chambrettes. Il y voit une lueur, il entend toujours
de sourds gémissements, il se précipite dans l’escalier, regarde vers le haut
et voit des silhouettes blafardes, les mêmes ectoplasmes qu’il avait déjà
entrevus. Il sent tous les poils de son corps frémir et se hérisser mais il
continue à monter. Il tient toujours sa
torche, elle se rallume, tout disparaît. Seule reste une odeur étrange, cette
odeur fétide qui monte certainement de la cave. Tout est calme sur le palier,
il allume la lumière et entre dans la chambre sud. Rien, juste la faible lueur
d’un croissant de lune. La chambre ouest est tout aussi paisible. Il ouvre la
porte de la chambre aveugle du milieu. En entrant, il est pénétré d’une
atmosphère morbide. L’odeur y est plus prenante, comme mêlée de relents de
fumée. Il examine tous les recoins mais la pièce est vide. Il sort et laisse la
porte ouverte. Intrigué, il prend l’échelle qui est restée sur le palier, il la
dresse et ouvre la trappe. Il monte et passe le buste, éclairant vivement d’un
côté à l’autre. Pas même une chouette ou une dame blanche pour expliquer ce
qu’il a entendu. Rien. Il referme la trappe et enlève l’échelle. Il redescend
dans la cuisine, tisonne un peu le feu dans la cheminée et regarde, pensif, les
flammes renaître. Il reste là, à ruminer, pendant près d’une heure puis,
transi, retourne se coucher.
Le lendemain matin, il prend sa décision. Il
faut qu’il parle de tout cela à quelqu’un. Alors, pense-t-il, Tomi est un gars
solide, je le connais bien, c’est la seule personne à qui je puisse en parler.
Sinon, il reste Galipette. Mais celui-ci est un bavard, qui sait ce qu’il
pourrait raconter partout ! Donc, il part voir Tomi.
Par chance, Tomi est attablé devant son petit
déjeuner. Il a soigné son bétail et il est seul à la ferme. Il invite Pijm à
partager son repas et semble tout disposé à l’écouter. Ce dernier lui raconte la
visite nocturne du mois d’août, la rencontre avec le kabouter Tin Quiète,
la petite église puis enfin les évènements de cette nuit. Tomi semble bien
perplexe.
-
Ecoute,
fieu, un autre que toi me raconterait des carabistouilles pareilles, je lui
dirais tout de suite d’aller se faire foutre. Mais toi, quand même, t’es pas un
zievereir, t’as pas l’habitude de
zwanzer ! Alors je sais pas quoi te dire. T’es sûr que ça te fait pas du
mal de vivre tout seul dans cette grande baraque, ça doit te porter sur les
nerfs, je crois, moi !
-
Tomi, tu
l’as bien dit, je ne suis pas du genre à avoir des visions et à croire
n’importe quoi. Tu sais, ça ne m’amuse pas de venir raconter des trucs
incroyables et si je suis venu te voir c’est parce que j’ai confiance en toi.
Je sais que tu n’iras pas raconter tout cela partout. Je n’ai pas osé en parler
avec Galipette…
-
Ah,
fieu ! Ça c’est sûr, c’est un sacré babeleer,[1]
mais crois-moi, il sait aussi tenir sa langue quand il faut. Mais bon, je
comprends… Par contre, ce que je comprends pas, c’est que tu as acheté cette
maison alors que tu savais qu’y avait des fantômes dedans ! Dit Tomi en se
servant un grand bol de café. Tu veux une jatte, toi aussi ?
-
Oui,
répond Pijm. Mais attends, Tomi, je dis pas que c’est des fantômes ! Je
sais pas ce que c’est ce que j’ai vu. Et puis, le kabouter, tout de même ! C’est pas un spook[2],
j’ai parlé avec lui, je te dis ! Et je l’ai vu comme je te vois…
-
Et tu as
vu une église qui n’existe pas !
-
Oui, tu
as raison mais j’ai retrouvé les ruines…
-
Et elle
est tombée en ruine en une nuit ? A d’autres, fieu. Ecoute, moi je crois
pas trop aux fantômes, j’en ai jamais vu mais il parait que ça existe. Mais je
vais tout même pas venir habiter chez toi pour avoir la chance, un jour, de
voir un fantôme, j’ai autre chose à faire, moi. Bon, rassure-toi, je te prends
pas pour un zot[3] !
T’as encore la tête sur les épaules mais je crois que tu es un peu fatigué. Tu
devrais te changer les idées, je sais pas, moi, tu devrais sortir, aller au
cinoche, et maintenant que t’es séparé de ta femme, tu devrais aller draguer.
Tiens, t’as Dédé, le charpentier de Bourgnazan, y va tous les vendredis soir à
l’Elbo à Agen. Tu devrais y aller un vendredi, allez, je vous accompagnerais,
tu verras, y’a de la mijolle[4]
à gogo !
-
Tu as
peut-être raison. Et ta femme, elle va dire quoi ?
-
Ma
femme, je lui dis rien, je lui dis que j’ai une réunion et puis c’est tout. Ou
un match, c’est mieux, y’a la troisième mi-temps. Ha ha ha !
-
Bon,
mais ça ne résout rien, je dois certainement me changer un peu les idées mais
ça ne me donnera pas la solution pour mes histoires. Comment tu crois que je
pourrais retrouver le kabouter ?
-
Pijm,
fieu, n’insiste pas. Tu vas voir, si tu te trouves une gonzesse, déjà tu vas
voir la vie autrement. Ne m’dis quand même pas que t’es tombé amoureux d’un kabouter, ah ah ah ! Allez, je te
rappelle jeudi et je te confirme pour vendredi ?
-
Tope là,
d’accord.
(à suivre...)
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