Auditrices et auditeurs qui m’écoutez,
bonjour. La fièvre commémorative s’étant emparée des grands média après
l’armistice de la Grande Guerre, voici que l’on nous tartine les soixante-dix
ans de la proclamation de la DUDH, soit la déclaration universelle des droits
de l’homme qui fut adoptée par l’ONU le 10 décembre 1948 au palais de Chaillot.
Tout ceci pour nous dire que l’on est bien loin de voir les droits stipulés
dans cette déclaration reconnus dans tous les pays du monde, même si ceux-ci
ont voté cette déclaration. Il faut rappeler que cette charte fait suite à un
certain nombre de déclarations précédentes telles que le « Bill of
Rights » de 1689 en Angleterre, celui de la Constitution américaine en 1791 et la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, en France, de 1789. Ce sont des déclarations nationales
mais en 1948, cette déclaration se veut universelle et donc supranationale.
Toutefois, cette déclaration – pour universelle qu’elle soit dite – n’a pas de
valeur contraignante et on constate que bien des gouvernements ne s’en soucient
guère.
A bien y regarder, cette déclaration parle
uniquement de droits et les grands absents de ce texte sont étonnamment les
devoirs. Promenez-vous de ci et de là en France et vous entendrez de partout
des citoyens qui se gargarisent de leurs droits –bafoués ou non – sans jamais
évoquer le moins du monde les devoirs qu’ils ont envers la planète, le genre
humain, le règne animal et végétal et j’en passe. Je dirai qu’à mon avis, un
bébé qui naît n’a pas particulièrement de droits : qu’en ferait-il s’il
n’a pas la possibilité d’en user ? Il est un peu comme cet habitant du
fond de la brousse qui me disait de l’article 11 de notre déclaration, où il
est écrit que tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement : « Qu’est-ce
que tu veux que j’en pense, même si j’avais une imprimante, il n’y aurait
personne pour lire ce que j’ai écrit. Alors tu vois, votre truc, je m’en
tamponne le coquillard avec une patte d’alligator femelle ! »
Revenons à notre bébé : pour qu’il vive, qu’il grandisse et s’épanouisse,
ses droits ne lui servent de rien. Ce sont les devoirs des parents envers lui,
ou à défaut les devoirs de la société – nous tous – envers lui qui lui
permettront d’avoir un jour des droits et d’en user. Mais non sans avoir aussi
des devoirs lui-même. Les droits de l’homme sont donc une sorte de morale en
creux, une coquille vide de devoirs.
En 1949 fut publié un livre posthume de
Simone Weil –la philosophe dont le nom commence par un W et donc pas la femme
politique dont le nom commence par un V –
intitulé : « L’enracinement. Prélude à une déclaration
des devoirs envers l’être humain ». Ce livre commence ainsi : «
La notion d'obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et
relative. Un droit n'est pas efficace par lui-même, mais seulement par
l'obligation à laquelle il correspond ; l'accomplissement effectif d'un droit
provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se
reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L'obligation est efficace dès
qu'elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle
ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n'est reconnu par
personne n'est pas grand-chose. Cela n'a pas de sens de dire que les hommes
ont, d'une part des droits, d'autre part des devoirs. Ces mots n'expriment que
des différences de point de vue. Leur relation est celle de l'objet et du
sujet. Un homme, considéré en lui-même, a seulement des devoirs, parmi lesquels
se trouvent certains devoirs envers lui-même. Les autres, considérés de son
point de vue, ont seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est
considéré du point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers
lui. Un homme qui serait seul dans l'univers n'aurait aucun droit, mais il
aurait des obligations. »
On voit par-là que les riches et les
pauvres devraient arrêter de nous bassiner avec leurs droits et penser un peu à
leurs devoirs.
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