Albert raccroche et
débranche l’appareil. Il aime bien Mario et ce n’est pas le genre à avoir des
copines pouraves. Ce couillon avait une femme formidable à tous points de vue
mais elle s’est lassée des multiples et malheureuses expériences professionnelles
– autant que conjugales – de son mari. Si leur divorce n’est pas encore
prononcé, il est tout au moins consommé. Mais le plus dur reste à faire :
la garde des gosses et le partage des biens. Cela étant, Mario a pris une
nouvelle orientation, il a réussi à se faire embaucher dans un hôpital psy.
Avec sa seule qualification agricole, il est entré comme ouvrier dans l’élevage
de cochons de l’hosto. On est encore à une époque où les collectivités
nourrissent des animaux avec les eaux grasses et les déchets de cuisine. A
savoir ce qu’il y a dans la barbaque car qui dit déchets dit fonds d’assiettes.
Et dans un hôpital psy, bon nombre de patients se déchargent discrètement de
leurs neuroleptiques et autres dans ces fonds d’assiettes. Quant à Mario, après
six mois en porcherie, il n’a pas gardé les deux pieds dans le même sabot. Une
occasion de remplacer lui a fait mettre le pied à l’étrier et le voilà qui
commence une formation de soignant. Il a un bon bagage et, comme chaque fois,
il a tout pour réussir : un salaire régulier, l’avancement à la clé et la
voie royale de la fonction publique hospitalière s’ouvre devant lui. Ce qui
veut dire qu’avec tous ces paramètres et pour une fois, il ne fait pas la fête
à crédit.
Laissons Albert dormir
tranquillement et couver sa crève ainsi que son chagrin. Il a réussi à
réchauffer la maison, s’est glissé, à peine déshabillé, dans les draps glacés.
Et il s’endort profondément.
.Deux heures plus tard,
il se réveille. Il se sent mieux et, suivant les prédictions du bon docteur Mario,
il se fait chauffer une énorme casserole d’eau. Car il y a bien une petite
baignoire dans sa rustique demeure mais le chauffe-eau est un peu déficient et
il n’est pas inutile de lui apporter un peu d’aide si on veut prendre un vrai
bain chaud.
Il apprécie la chaleur du
bain, sans se presser. Une fois sec, il n’hésite plus, se met sur son
trente-et-un et saute sur son fidèle quoique précaire destrier, direction
Tobinet. Mario habite lui aussi un coin assez isolé, au bout d’un chemin de
terre, à une vingtaine de kilomètres.
Albert se traîne un
arrière-goût de mauvaise conscience. Il part faire la fête comme s’il pouvait
oublier Lélia, comme s’il allait tirer un trait sur ses amours perdues. Sa
tristesse l’anesthésie et il avance dans la nuit comme un automate, sans
hésiter mais sans conviction.
A son arrivée, la fiesta
bat son plein : Marc a bien fait les choses, il y a une longue enfilade de
tables et le couvert est mis pour au moins vingt personnes. Des plateaux de
victuailles garnissent les tables et les meubles. Musique et ambiance et en
effet, il y a une bonne quinzaine de nanas pour cinq mecs. Dont Albert. Elles
se précipitent sur lui, le félicitent, l’assurent qu’elles vont bien s’occuper
de lui au point que la tête lui tourne et qu’il en oublie ses tracas. Mario
adore organiser des soirées et des repas et il commence à déboucher des
bouteilles en enjoignant à l’assemblée de prendre place. Albert se trouve
encadré par deux charmantes infirmières qui ont décrété qu’elles vont prendre
soin de sa santé. On trinque et un large plateau de foie gras de toute première
qualité circule. On fait craquer des toasts, on porte des toasts et le
baromètre intérieur d’Albert remonte en flèche. Les huitres circulent, citron
et sauce à l’échalote, vin blanc et tartinettes beurrées.
(à suivre...)
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