En vedette !

jeudi 7 mars 2019

Appelez-moi Fortunio (4)


Albert raccroche et débranche l’appareil. Il aime bien Mario et ce n’est pas le genre à avoir des copines pouraves. Ce couillon avait une femme formidable à tous points de vue mais elle s’est lassée des multiples et malheureuses expériences professionnelles – autant que conjugales – de son mari. Si leur divorce n’est pas encore prononcé, il est tout au moins consommé. Mais le plus dur reste à faire : la garde des gosses et le partage des biens. Cela étant, Mario a pris une nouvelle orientation, il a réussi à se faire embaucher dans un hôpital psy. Avec sa seule qualification agricole, il est entré comme ouvrier dans l’élevage de cochons de l’hosto. On est encore à une époque où les collectivités nourrissent des animaux avec les eaux grasses et les déchets de cuisine. A savoir ce qu’il y a dans la barbaque car qui dit déchets dit fonds d’assiettes. Et dans un hôpital psy, bon nombre de patients se déchargent discrètement de leurs neuroleptiques et autres dans ces fonds d’assiettes. Quant à Mario, après six mois en porcherie, il n’a pas gardé les deux pieds dans le même sabot. Une occasion de remplacer lui a fait mettre le pied à l’étrier et le voilà qui commence une formation de soignant. Il a un bon bagage et, comme chaque fois, il a tout pour réussir : un salaire régulier, l’avancement à la clé et la voie royale de la fonction publique hospitalière s’ouvre devant lui. Ce qui veut dire qu’avec tous ces paramètres et pour une fois, il ne fait pas la fête à crédit.
Laissons Albert dormir tranquillement et couver sa crève ainsi que son chagrin. Il a réussi à réchauffer la maison, s’est glissé, à peine déshabillé, dans les draps glacés. Et il s’endort profondément.
.Deux heures plus tard, il se réveille. Il se sent mieux et, suivant les prédictions du bon docteur Mario, il se fait chauffer une énorme casserole d’eau. Car il y a bien une petite baignoire dans sa rustique demeure mais le chauffe-eau est un peu déficient et il n’est pas inutile de lui apporter un peu d’aide si on veut prendre un vrai bain chaud.
Il apprécie la chaleur du bain, sans se presser. Une fois sec, il n’hésite plus, se met sur son trente-et-un et saute sur son fidèle quoique précaire destrier, direction Tobinet. Mario habite lui aussi un coin assez isolé, au bout d’un chemin de terre, à une vingtaine de kilomètres.
Albert se traîne un arrière-goût de mauvaise conscience. Il part faire la fête comme s’il pouvait oublier Lélia, comme s’il allait tirer un trait sur ses amours perdues. Sa tristesse l’anesthésie et il avance dans la nuit comme un automate, sans hésiter mais sans conviction.
A son arrivée, la fiesta bat son plein : Marc a bien fait les choses, il y a une longue enfilade de tables et le couvert est mis pour au moins vingt personnes. Des plateaux de victuailles garnissent les tables et les meubles. Musique et ambiance et en effet, il y a une bonne quinzaine de nanas pour cinq mecs. Dont Albert. Elles se précipitent sur lui, le félicitent, l’assurent qu’elles vont bien s’occuper de lui au point que la tête lui tourne et qu’il en oublie ses tracas. Mario adore organiser des soirées et des repas et il commence à déboucher des bouteilles en enjoignant à l’assemblée de prendre place. Albert se trouve encadré par deux charmantes infirmières qui ont décrété qu’elles vont prendre soin de sa santé. On trinque et un large plateau de foie gras de toute première qualité circule. On fait craquer des toasts, on porte des toasts et le baromètre intérieur d’Albert remonte en flèche. Les huitres circulent, citron et sauce à l’échalote, vin blanc et tartinettes beurrées.
(à suivre...)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire