Durant la journée, il se
joue, hypocritement, la scène des remords. Il se donne l’impression que, s’il
va rejoindre Christelle à Agen, il sera infidèle à Lélia, son platonique et
impossible amour. En fin de journée, il s’admoneste un bon coup en se traitant
de faux cul, de fiote et de tout ce qu’on voudra. Il a besoin de vivre, et
surtout de revivre après avoir passé quelques mois dans le marasme d’une quête
chimérique. Sa curiosité est aussi piquée : que lui veut-elle, cette belle
infidèle dont les yeux verts ont dompté sa volonté ? Mais il se dit que si
Lélia savait, ce serait alors tout à fait sans espoir… mais c’est déjà sans
espoir alors que va-t-il faire ? C’est bien le désir qui l’emporte et pour
dix-huit heures, il est à L’As de Pique, rasé de frais et pomponné tant que
faire se peut. Enfin, dix-huit heures légèrement passées, dix-huit heures
quatre ou cinq, le temps de se garer.
Le bistro est du genre
refait de neuf il y a deux ou trois ans, propre et avec une clientèle
d’habitués qui dévisagent sans vergogne cet inconnu qui s’installe à la table
la plus éloignée du bar. Derrière le comptoir, le patron, ventru, et une femme,
d’un âge indéfinissable qui pourrait être son épouse. Au bout de deux bonnes
minutes, celle-ci vient voir ce qu’il désire. Il commencera en douceur avec un
Monaco bien clair. Il lui demande aussi si une dame est venue, il a un peu de
retard, peut-être que… Elle n’a vu aucune dame, elle s’en souviendrait car il
n’en passe pas beaucoup ici. Et, en revenant vers le bar, elle interpelle le
patron de telle sorte que tout le monde en profite :
-
Dis-donc, Marcel, t’as pas vu une dame qui
aurait attendu monsieur, ce soir ?
-
Beuh non, répond l’autre, mais ne vous
inquiétez pas, m’sieur, elle va pas tarder, je les sens ces choses-là, moi !
Albert remercie
discrètement de la main et attrape un 47, journal gratuit de petites annonces
en tous genres. Il ne voit guère le temps passer car il y a plusieurs annonces
de matériels qui l’intéressent. Quant aux piliers de comptoir, ils commencent à
arriver en nombre et la salle devient assez bruyante, plus personne ne
s’intéresse à lui. Un quart d’heure passe, vingt minutes, bientôt une
demi-heure et toujours pas de Christelle : et si elle lui avait posé un
lapin ? Et à propos de bête à fourrure, la voilà qui arrive à sept heures
moins le quart, veste en vison, jupe droite et haut talons. De quoi faire
baisser les conversations de plus d’un ton. Son arrivée fait sensation et elle
n’est pas sans goûter l’effet produit sur cette gent masculine en émoi et en
début d’apéro.
Elle va vers la table
d’Albert en souriant :
-
Tu t’es planqué dans une grotte, mon bel
Albert ? Il faut dire que c’est un vrai boui-boui, je pensais que le
niveau était un peu plus relevé mais je ne suis jamais entrée ici…Je t’expliquerai.
Ecoute, on ne va pas rester là ! Je suis terriblement en retard, je
suppose ?
-
Euh, bredouille Albert.
-
Bon, je suis en retard et pour me faire
pardonner, si c’est encore possible, je t’emmène au restaurant. Ma voiture est
garée juste à côté, alors hop, on y va.
Pas mécontent de quitter
ce temple de l’alcoolémie, Albert se lève et emboîte le pas de Christelle qui
ne se gêne pas pour tortiller un peu sous des regards concupiscents et allumés.
(à suivre...)
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