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jeudi 4 avril 2019

Appelez-moi Fortunio (8)


Durant la journée, il se joue, hypocritement, la scène des remords. Il se donne l’impression que, s’il va rejoindre Christelle à Agen, il sera infidèle à Lélia, son platonique et impossible amour. En fin de journée, il s’admoneste un bon coup en se traitant de faux cul, de fiote et de tout ce qu’on voudra. Il a besoin de vivre, et surtout de revivre après avoir passé quelques mois dans le marasme d’une quête chimérique. Sa curiosité est aussi piquée : que lui veut-elle, cette belle infidèle dont les yeux verts ont dompté sa volonté ? Mais il se dit que si Lélia savait, ce serait alors tout à fait sans espoir… mais c’est déjà sans espoir alors que va-t-il faire ? C’est bien le désir qui l’emporte et pour dix-huit heures, il est à L’As de Pique, rasé de frais et pomponné tant que faire se peut. Enfin, dix-huit heures légèrement passées, dix-huit heures quatre ou cinq, le temps de se garer.
Le bistro est du genre refait de neuf il y a deux ou trois ans, propre et avec une clientèle d’habitués qui dévisagent sans vergogne cet inconnu qui s’installe à la table la plus éloignée du bar. Derrière le comptoir, le patron, ventru, et une femme, d’un âge indéfinissable qui pourrait être son épouse. Au bout de deux bonnes minutes, celle-ci vient voir ce qu’il désire. Il commencera en douceur avec un Monaco bien clair. Il lui demande aussi si une dame est venue, il a un peu de retard, peut-être que… Elle n’a vu aucune dame, elle s’en souviendrait car il n’en passe pas beaucoup ici. Et, en revenant vers le bar, elle interpelle le patron de telle sorte que tout le monde en profite :
-          Dis-donc, Marcel, t’as pas vu une dame qui aurait attendu monsieur, ce soir ?
-          Beuh non, répond l’autre, mais ne vous inquiétez pas, m’sieur, elle va pas tarder, je les sens ces choses-là, moi !
Albert remercie discrètement de la main et attrape un 47, journal gratuit de petites annonces en tous genres. Il ne voit guère le temps passer car il y a plusieurs annonces de matériels qui l’intéressent. Quant aux piliers de comptoir, ils commencent à arriver en nombre et la salle devient assez bruyante, plus personne ne s’intéresse à lui. Un quart d’heure passe, vingt minutes, bientôt une demi-heure et toujours pas de Christelle : et si elle lui avait posé un lapin ? Et à propos de bête à fourrure, la voilà qui arrive à sept heures moins le quart, veste en vison, jupe droite et haut talons. De quoi faire baisser les conversations de plus d’un ton. Son arrivée fait sensation et elle n’est pas sans goûter l’effet produit sur cette gent masculine en émoi et en début d’apéro.
Elle va vers la table d’Albert en souriant :
-          Tu t’es planqué dans une grotte, mon bel Albert ? Il faut dire que c’est un vrai boui-boui, je pensais que le niveau était un peu plus relevé mais je ne suis jamais entrée ici…Je t’expliquerai. Ecoute, on ne va pas rester là ! Je suis terriblement en retard, je suppose ?
-          Euh, bredouille Albert.
-          Bon, je suis en retard et pour me faire pardonner, si c’est encore possible, je t’emmène au restaurant. Ma voiture est garée juste à côté, alors hop, on y va.
Pas mécontent de quitter ce temple de l’alcoolémie, Albert se lève et emboîte le pas de Christelle qui ne se gêne pas pour tortiller un peu sous des regards concupiscents et allumés.
(à suivre...)

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