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dimanche 7 avril 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs IV (30)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « Il n’y a plus de saisons ! Pensez : si maintenant les giboulées de mars sont en mars, où va-t-on ? » Ainsi parlait Sara Toussetra, buraliste et vendeuse de journaux bien connue de mes auditeurs quoique je ne l’aie plus convoquée dans mes chroniques depuis quelque temps.
Que voulez-vous répondre à une telle évidence croisée d’un tel paradoxe. Je restais rêveur en rangeant ma monnaie, quatre-vingt centimes sur les deux euros que je lui avais délivrés, et je sortais, tout absorbé, de la maison de la presse, manquant rater la sortie et me retrouver accroché dans un présentoir à cartes postales. Ce fut une voix familière qui me sortit de la stupeur où je me trouvais plongé suite à ce que je venais d’entendre. Cette voix, bien sûr, vous la reconnaîtriez vous aussi, c’est la voix grêle quoiqu’impérieuse de mon savant ami le professeur Papillon. « Attention à la marche ! » me lançait-il sur un ton angoissé. « Ah, professeur, quelle joie de vous voir ici, proférai-je, mais pourquoi ce thon angoissé ? » « Si mon thon est angoissé, c’est qu’il se ronge les foies de morue » répondit-il sèchement, ce qui est un comble, piscicolement parlant.
Mon ami Papillon est un spécialiste, entre autres spécialités, des espèces marines et je ne poussai pas la conversation plus loin à ce sujet. Mais je tenais à savoir quel bon vent l’avait amené à venir me rencontrer dans notre beau sud-ouest malgré les quelques bourrasques dont se plaignait cette bonne Sara. « C’est une histoire à la fois très simple et très compliquée » me répondit-il incontinent, si j’ose dire car il n’a nul besoin de protections masculines discrètes. Et de m’expliquer qu’il avait reçu une invitation de la présidence de la République à participer au débat entre le président et les intellectuels. Fort flatté d’être taxé d’intellectualisme, le professeur fit l’acquisition d’une chemise neuve et d’un nœud éponyme afin de pouvoir se présenter honnêtement devant le premier homme de France. Comme il est homme à toujours avoir un avis sur tout et même –principalement, dirais-je- sur n’importe quoi, il pensait bien pouvoir se présenter sans avoir préparé quelque intervention. Mais arrivé à la porte de l’Elysée, il constata avec effroi qu’il n’avait pas pris le carton nominatif d’invitation et qu’à la place il se présentait avec sa carte de fidélité du pizzaiolo Bruno de la place Pouquet’s. Fort dépité, il s’en allait traînant ses guêtres le long de la rue du Faubourg St Honoré lorsqu’il fut abordé par un sinistre de l’intérieur qui partait faire la tournée des trouducs et qui l’invita à monter dans sa Zoé de service. La soirée fut longue car le sinistre avait la langue bien pendue mais elle fut instructive pour le professeur qui ne regretta point le monologue présidentiel avec les intellectuels. En effet, le personnel politique nage en eaux plus troubles que les grands mammifères marins et il est toujours instructif, selon lui, d’analyser ce que l’on ne voit qu’à moitié car ainsi il en reste donc encore à voir pour les autres jours.
Le professeur termina la soirée seul et à pied car il avait perdu le sinistre, trop occupé par ses affaires de cœur. Et, de fil en aiguille, il arriva ainsi devant le bureau de tabac dont je sortais.
On voit par-là que, quand les intellectuels se rassemblent à l’Elysée, les grands esprits se rencontrent dans la rue.

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