Auditrices et auditeurs qui m’écoutez,
bonjour. « Il n’y a plus de saisons ! Pensez : si maintenant les
giboulées de mars sont en mars, où va-t-on ? » Ainsi parlait Sara
Toussetra, buraliste et vendeuse de journaux bien connue de mes auditeurs
quoique je ne l’aie plus convoquée dans mes chroniques depuis quelque temps.
Que voulez-vous répondre à une telle
évidence croisée d’un tel paradoxe. Je restais rêveur en rangeant ma monnaie,
quatre-vingt centimes sur les deux euros que je lui avais délivrés, et je
sortais, tout absorbé, de la maison de la presse, manquant rater la sortie et
me retrouver accroché dans un présentoir à cartes postales. Ce fut une voix
familière qui me sortit de la stupeur où je me trouvais plongé suite à ce que
je venais d’entendre. Cette voix, bien sûr, vous la reconnaîtriez vous aussi,
c’est la voix grêle quoiqu’impérieuse de mon savant ami le professeur Papillon.
« Attention à la marche ! » me lançait-il sur un ton angoissé.
« Ah, professeur, quelle joie de vous voir ici, proférai-je, mais pourquoi
ce thon angoissé ? » « Si mon thon est angoissé, c’est qu’il se
ronge les foies de morue » répondit-il sèchement, ce qui est un comble,
piscicolement parlant.
Mon ami Papillon est un spécialiste, entre
autres spécialités, des espèces marines et je ne poussai pas la conversation
plus loin à ce sujet. Mais je tenais à savoir quel bon vent l’avait amené à
venir me rencontrer dans notre beau sud-ouest malgré les quelques bourrasques
dont se plaignait cette bonne Sara. « C’est une histoire à la fois très
simple et très compliquée » me répondit-il incontinent, si j’ose dire car
il n’a nul besoin de protections masculines discrètes. Et de m’expliquer qu’il
avait reçu une invitation de la présidence de la République à participer au
débat entre le président et les intellectuels. Fort flatté d’être taxé
d’intellectualisme, le professeur fit l’acquisition d’une chemise neuve et d’un
nœud éponyme afin de pouvoir se présenter honnêtement devant le premier homme
de France. Comme il est homme à toujours avoir un avis sur tout et même –principalement,
dirais-je- sur n’importe quoi, il pensait bien pouvoir se présenter sans avoir
préparé quelque intervention. Mais arrivé à la porte de l’Elysée, il constata
avec effroi qu’il n’avait pas pris le carton nominatif d’invitation et qu’à la
place il se présentait avec sa carte de fidélité du pizzaiolo Bruno de la place
Pouquet’s. Fort dépité, il s’en allait traînant ses guêtres le long de la rue
du Faubourg St Honoré lorsqu’il fut abordé par un sinistre de l’intérieur qui
partait faire la tournée des trouducs et qui l’invita à monter dans sa Zoé de
service. La soirée fut longue car le sinistre avait la langue bien pendue mais elle
fut instructive pour le professeur qui ne regretta point le monologue
présidentiel avec les intellectuels. En effet, le personnel politique nage en
eaux plus troubles que les grands mammifères marins et il est toujours
instructif, selon lui, d’analyser ce que l’on ne voit qu’à moitié car ainsi il
en reste donc encore à voir pour les autres jours.
Le professeur termina la soirée seul et à
pied car il avait perdu le sinistre, trop occupé par ses affaires de cœur. Et,
de fil en aiguille, il arriva ainsi devant le bureau de tabac dont je sortais.
On voit par-là que, quand les intellectuels
se rassemblent à l’Elysée, les grands esprits se rencontrent dans la rue.
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