Auditrices et auditeurs qui m’écoutez,
bonjour. Comme le disait très justement Martin Schopenhauer, le monde est petit
mais le hasard est grand ! En effet, peu après avoir rencontré le
professeur Papillon sur le boulevard de la Cannelle, en sortant de chez la
marchande de journaux, voilà-t-il pas que nous croisons un homme lancé d’un pas
alerte qui peina à nous reconnaître. Toutefois et même néanmoins, je vous ai
déjà parlé de l’amiral Cap, marin chevronné et visionnaire de génie. Cependant
et nonobstant, il était tout excusé de ne point remettre nos physionomies car
lui-même se trouvait avoir intensément pris du galon dans la profession.
Profession dans laquelle l’on peut prendre autant de galons que de galions
puisque notre charmant ami, déjà précédemment pourvu du titre d’amiral se
parfumait maintenant de celui de commodore : nous nous trouvions face au
Commodore Cap et nous l’ignorions !
Notre généreux ami nous invita
gracieusement à prendre un verre d’eau de mer au bar de ligne de la vieille
loutre, un bistro de marins que je ne vous dis que cela. Et cela, en réalité,
est tout simplement que le premier qui accepte un verre d’eau de mer dans ce
bar paie la tournée suivante, ce qui n’est pas rien. Ayant senti l’embrouille
mais sans pouvoir m’en formaliser, je commandai donc une tournée générale de Serial
Boss Killer, cocktail dont vous m’eussiez dit des nouvelles si vous eussiez été
présents. Je n’en donnerai pas la recette car vous pouvez la retrouver sans
peine dans une de mes précédentes chroniques et je ne suis pas là pour faire de
la concurrence à qui que ce soit ! Toujours est-il que notre ami Cap – je
dis notre car le professeur était toujours des nôtres et a bu son verre comme
les autres et les suivants -, notre ami Cap, disais-je, nous raconta les
péripéties qui le conduisirent à laisser au vestiaire son titre d’amiral pour
prendre celui de commodore. Le Commodore Cap, voyez-vous cela ! Après un
long périple qui le mena de Java à Bornéo puis à Valparaiso puis à Messine puis
à Lorient, il se trouva en cale sèche et en caleçon sur le port d’Anvers –
Antwerpen pour les intimes -. Pied à terre, notre impénitent marin se trouvait
fort dépourvu et échoua, si je peux parler ainsi, dans une baraque de frites
nommée : « In ‘t duivenkot ». Il commanda une généreuse portion
de frites avec sauce tartare et américain préparé. Il est à noter que, chez nos
amis belges, l’américain se déguste soigneusement préparé alors que l’anglais
est loin d’être comestible même en croquettes pour animaux domestiques.
Une fois son tartaresque repas ingéré,
notre ami Cap n’osait fouiller les poches de son caleçon car il était sans le
sou. Mais la fortune sourit aux audacieux et c’est au moment où il désespérait
de pouvoir régler l’aubergiste qu’il fut interpellé par un aimable jeune homme,
hardi quoique timide. « Monsieur, dit ce dernier, ne seriez-vous point
l’amiral Cap ? » « C’est lui-même et en personne ! »
répondit sur un ton altier l’amiral caleçonné. Le jeune homme se présenta comme
étant le Grand-Duc de Gobélie. Pour faire court, disons que la Gobélie est un
petit état de l’Oberland, cerné par d’altières montagnes et arrosé par un
modeste cours d’eau, le Gatz. Ce petit état, petit en superficie terrestre mais
vaste en superficie paradisiaque et fiscale, se trouvait totalement dépourvu
d’une marine digne de ce nom. L’affaire fut vite conclue entre notre amiral et
son Grand-Duc : ce dernier payait l’addition –café compris – et Cap
mettait au service de son altesse le brick « La Marrante » avec son
équipage, à savoir Madame Cap, monsieur Cap fils et le mousse Kinder Bono. Le
Grand-Duc colla aussitôt les épaulettes de commodore sur les épaules nues de
Cap, régla l’addition et s’en fut en son palais, heureux d’avoir créé sa marine
de guerre.
On voit par-là que les cales sont sèches,
mon commodore.
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