-
Crétin (si j’ose parler ainsi en ces lieux) !
Il ne s’agit pas de cela mais j’envisage de te faire venir quelque temps du
côté de Caylus. Tu connais la région ?
-
Pas très bien. C’est certainement une très
belle région, mais je ne vois pas…
-
Comment est ta symphonie autour du
canard ? Cela te plaît ?
-
Déclinaison, pas symphonie… c’est
excellent et très raffiné. Et le Lalande de Pomerol est absolument
subtil !
-
Parfait. Alors, je continue : j’ai
une histoire compliquée sur les bras. D’ailleurs, je ferais mieux de dire que
je me suis mis une histoire compliquée sur les bras. Comme il faut commencer
par un bout, je commence par ce que je connais –j’espère- le mieux, à savoir la
psychiatrie. Tu en penses quoi, toi, de la psychiatrie ?
-
Bof, je sais pas trop. En principe, c’est
pour les fous, non ?
-
C’est pas une si mauvaise réponse que cela
mais j’aurais préféré que tu me dises, par exemple, que la psychiatrie
d’aujourd’hui, c’est plus ce que c’était, que maintenant on n’enferme plus
quelqu’un comme ça, que les électrochocs ça ne se fait plus, que sais-je…
-
Ben oui, je suppose que tu as raison de
dire ça…
-
Eh bien, je ne le dis pas. Quand on lit
les journaux un peu progressistes, on nous parle de psys différents,
d’antipsychiatrie même. Mais quand tu rentres dans les pavillons, c’est tout
autre chose. Les fous sont toujours les fous, les psychotropes sont toujours
pareils et les médecins-chefs sont de vieux poussahs qui hochent de la tête
derrière leurs bureaux poussiéreux, continuent la médecine d’enfermement,
jouent les notables et se foutent bien des malades[1]. Bien sûr, on est
quelques-uns à penser que le fou est un être humain, différent peut-être mais
semblable à nous. Et on est quelques-uns à penser qu’on peut accompagner le
différent avec l’aide du semblable. Par exemple. Mais je m’égare un peu car je
voudrais aussi parler des internements abusifs.
-
Cela arrive souvent ?
-
Il vaudrait peut-être mieux, à la limite,
car cela permettrait de bousculer la nomenklatura en place. Alors qu’une
affaire isolée, ce n’est jamais qu’un cas en passant. Sauf que pour la personne
en question, il y a un calvaire à vivre. Je te parie que quelqu’un qui, voulant
faire un stage d’observation, se ferait passer pour fou risquerait de ne plus
ressortir de l’institution, tellement la viscosité administrative alliée à la
méfiance bureaucratique englue celui qu’on aura désigné fou ou malade. Dans cet
engluement pataugent aussi certaines familles de patients, des soignants et …
-
Certaines
familles seulement ? coupe Albert sans oublier de déguster son canard
façon Rossini.
-
Il y a toujours des gens pour parler
d’asile de fous et certaines familles sont bien contentes de déposer leur fou
chez nous et surtout de nous le laisser. Et c’était bien là que je voulais en
arriver. Ça te plairait, à toi, de passer trois, quatre ou cinq ans chez les
fous ?
-
Logé nourri ?
-
Ne plaisante pas, il y a des cas vraiment
graves et qui n’intéressent strictement personne. Enfin, si, moi j’essaye de
m’y intéresser…
-
Je t’écoute, tu peux y aller, je m’attends
à tout. Tu voudrais me faire embaucher un dingue ?
(à suivre...)
[1] Pour
ceux qui n’auraient pas compris, l’action se passe dans les années 70 du
vingtième siècle…évidemment.
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