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jeudi 12 septembre 2019

Appelez-moi Fortunio (31)


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   Pas du tout. Il s’agit de quelqu’un qui est à peu près aussi fou que toi et moi, sauf que toi et moi nous sommes libres de nos mouvements. Alors que lui, ça fait cinq ans qu’il galère d’un enfermement à l’autre et que personne ne l’écoute. Enfin, il y en a bien qui l’écoutent mais sans entendre… Tout cela pour une histoire de fric. Bon, je vais te parler d’un homme qui a passé plus de quatre ans, d’abord en prison -6 mois quand même !- puis le reste en hôpital psychiatrique…
-          A Villeneuve de Sciérac ?
-          Les derniers mois, oui. Mais il a passé un peu plus de trois ans dans un hôpital-prison-pour-les-fous. Tout cela parce qu’il persistait à se dire innocent, à faire la grève de la faim et à se rebeller.
-          Mais il avait été condamné pour ?
-          Bonne question : il avait dérobé un tableau de petite valeur à son père. Son père qui était en fait son père adoptif, séparé de la mère du garçon qui avait dix-huit ans à l’époque. Ce père adoptif avait de la fortune, une grosse maison pour ne pas dire un petit château. Et lui, au moment des faits, avait soixante-quinze ans. Il était affaibli, tant physiquement que moralement et était sous la coupe d’un couple, la femme de ménage et l’homme à tout faire. Ils ont convaincu le vieux de porter plainte, voyant là l’occasion de se débarrasser du rejeton gênant afin de pouvoir assurer leur emprise sur le vieux. Mais ils se sont vite rendu compte qu’il n’y a pas pénalement vol entre père et fils. Il fallait donc trouver autre chose et ils ont trouvé ; ils ont fait faire aux vieux une facture de vente du tableau à leur nom à eux. Une fausse facture, évidemment, mais cela a marché. Daniel, c’est son nom, a eu beau protester de son innocence, il s’est mal débrouillé, a été mal défendu, les gendarmes ont eu vite fait de le boucler et de torcher l’enquête. Il était quand même un peu mauvais garçon, il avait fait quelques bêtises, rien de très grave mais il passait pour un peu voyou. Mais aucun vol, des histoires de mobylette pas assurée, pot d’échappement troué, un peu de tapage nocturne… en fait juste ce qu’il faut pour que le maire, les gendarmes, quelques croquants lui fassent une réputation de voleur de pommes. Au tribunal, ni une ni deux, le voilà encabané pour six mois !
-          Dis-moi, ça fait beaucoup pour un vol de tableau, c’était un Picasso ou quoi ?
-          Mais non, il avait réussi à le vendre, et pas trop mal vendu à ce qu’il paraît, à un antiquaire pour la somme de deux-cents francs…
-          Six mois pour deux-cents balles, je n’aurais pas cru…
-           Dans cette histoire, j’en ai appris beaucoup sur la justice. Attention à ne pas confondre judiciaire et justice : il faut faire la différence entre le mot justice, qui représenterait le juste, et la Justice qui elle ne se préoccupe que peu de ce que nous appelons juste mais qui se préoccupe de ce qui est judiciaire. En ce sens, c’est bien un serpent qui se mord la queue. La justice ne dit pas le juste, elle suit la procédure et prononce le judiciaire. Bon, mais au bout de quatre ans, il avait fini de clamer son innocence car il avait compris que c’était ce qui le faisait passer pour fou. Je te rappelle qu’il était entré en prison pour six mois mais comme il a persisté dans ses dénégations, au bout des six mois, on l’a fait passer en prison psychiatrique. Où ils l’auraient volontiers gardé encore longtemps. Comme il n’est pas idiot, il a compris qu’il fallait qu’il se conforme à ce qu’on attendait de lui, il a joué le petit bonhomme repenti et, grâce à l’acharnement de sa mère avec laquelle il avait, au bout de deux ans, réussi à rentrer en contact, il a fini par prouver qu’il était victime d’une erreur judiciaire. Et quand je dis erreur, je reste polie !
(à suivre...)

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