En vedette !

jeudi 21 novembre 2019

Appelez-moi Fortunio (41)


II. La nuit de la saint-Grelottin.
D’aussi loin qu’il se souvienne, Albert a toujours aimé marcher dans les bois la nuit, au diable les histoires de loups, d’ogres ou autres. Et il avait trouvé un vrai complice en son camarade de collège Enguerrand. Ils partaient tous les deux à la tombée de la nuit pour dormir à la belle étoile, dans leurs sacs de couchage. Et ceci pour la plus grande épouvante de la mère d’Albert qui imaginait toujours le pire. Mais le père d’Enguerrand avait exploré la forêt amazonienne, entre autres explorations, et il trouvait que son fils avait bien raison de se confronter aux rigueurs – selon lui toutes relatives – de la nuit. Un matin, ils étaient revenus chez les parents d’Albert, trempés par un orage diluvien et soudain et une telle mésaventure avait eu pour effet imprévu de dissiper toutes les craintes de la mère d’Albert, grâce à la partie de fou-rire et au petit déjeuner réconfortant qu’elle avait improvisé pour les deux gaillards. En traversant le bois, Albert pense à son vieux copain qu’il n’a plus vu depuis bien longtemps et qui aurait vraiment apprécié cette virée nocturne et forestière. Enguerrand lui avait appris à reconnaître le chant des animaux nocturnes, le hululement de la chouette, le chuintement de l’effraie, la fine note du crapaud accoucheur et la note flutée du hibou petit duc. Albert retrouve le pas léger que doit adopter l’amoureux des forets et l’ambiance du sous-bois le grise. Il s’arrête car il lui semble entendre chuinter une dame blanche. Il reprend sa marche et arrive à l’arrière du château. Car on dira ce qu’on voudra mais vu dans l’obscurité et sortant du bois, la bâtisse est vraiment imposante.
Il a vite fait de repérer la porte arrière, dans l’aile gauche. Il sort la clé, ouvre et entre. Il semble qu’il se trouve dans la cuisine. Il ne sort pas encore sa lampe de poche, ses yeux se sont accoutumés à l’obscurité et il veut continuer à profiter de sa vision scotopique. Encore un mot appris d’Enguerrand…
Outre la porte extérieure, il y a deux portes dans cette cuisine, une qui donne vers le centre du bâtiment et une qui va vers le sud, qu’il ouvre pour se trouver dans une grande antichambre, un office peut-être. Dans cette pièce, il n’y a qu’une autre porte, vers le centre. Il la pousse et entre dans un vaste vestibule-couloir-entrée. C’est un lieu qui doit être assez obscure malgré la solennelle porte d’entrée vitrée mais munie d’une élégante grille en fer forgé. Au sol, des tapis dans des tons foncés et au mur de pesants tableaux encadrés de lourdes dorures ternies par les années. Inutile de chercher à savoir ce que représentent ces peintures pompeuses et sombres. En s’avançant vers l’entrée, il y a de part et d’autre deux portes à deux battants. Albert entre à droite dans un spacieux espace qui tient du salon et de la salle à manger. La table longue est entourée de quatorze chaises alors qu’il y tiendrait une vingtaine de couverts. Au bout de la pièce, près d’une cheminée en marbre, plusieurs fauteuils. Les volets sont clos mais Albert suppose que l’endroit a une belle vue sur le parc.
Il revient dans le vestibule et visite la pièce en vis-à-vis. C’est une grande bibliothèque équipée de rayonnages sur tous les murs. Au milieu, un imposant bureau fait comprendre à l’intrus qu’il se trouve dans le saint des saints, le lieu du maître du logis. Sur les rayonnages, il y a un nombre impressionnant de livres, surtout de la belle reliure. Le genre, se dit Albert, que les bouquinistes et antiquaires sont heureux de vendre au mètre sans souci du contenu. Mais, plus intéressant, un bon nombre de planches sont encombrées par une quantité d’objets hétéroclites, comme un cabinet de curiosités. Il se promet de revenir y faire un tour, sort et referme doucement la porte. Il revient vers le bout du vestibule, côté nord. Il y a un bel escalier tournant, logé dans une tourelle arrière qu’il n’avait pas remarquée en arrivant. Il monte à l’étage où il se trouve dans un couloir, réplique en moins large du vestibule. Il visite rapidement, ce sont des chambres, une lingerie, une sorte de salle de jeux. Le tout semble entretenu, il y a apparemment une chambre qui est régulièrement occupée. Une autre chambre, comme prévu, semble prête à accueillir quelqu’un. Elle est équipée d’un antique cabinet de toilette dans lequel on a ajouté une cabine de douche et un WC.
Bien qu’il ait trouvé un lieu pour dormir, Albert décide de monter à l’étage supérieur où il trouve un grand grenier et, sur la façade sud, trois petites chambres éclairées par les lucarnes qu’il avait aperçues.
Il redescend au premier et décide de prendre possession du lit qui lui a été préparé. Sans crier gare d’Austerlitz, il s’endort.
*
(à suivre...)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire