II.
La nuit de la saint-Grelottin.
D’aussi loin qu’il se
souvienne, Albert a toujours aimé marcher dans les bois la nuit, au diable les
histoires de loups, d’ogres ou autres. Et il avait trouvé un vrai complice en
son camarade de collège Enguerrand. Ils partaient tous les deux à la tombée de
la nuit pour dormir à la belle étoile, dans leurs sacs de couchage. Et ceci
pour la plus grande épouvante de la mère d’Albert qui imaginait toujours le
pire. Mais le père d’Enguerrand avait exploré la forêt amazonienne, entre
autres explorations, et il trouvait que son fils avait bien raison de se
confronter aux rigueurs – selon lui toutes relatives – de la nuit. Un matin,
ils étaient revenus chez les parents d’Albert, trempés par un orage diluvien et
soudain et une telle mésaventure avait eu pour effet imprévu de dissiper toutes
les craintes de la mère d’Albert, grâce à la partie de fou-rire et au petit
déjeuner réconfortant qu’elle avait improvisé pour les deux gaillards. En
traversant le bois, Albert pense à son vieux copain qu’il n’a plus vu depuis
bien longtemps et qui aurait vraiment apprécié cette virée nocturne et
forestière. Enguerrand lui avait appris à reconnaître le chant des animaux
nocturnes, le hululement de la chouette, le chuintement de l’effraie, la fine
note du crapaud accoucheur et la note flutée du hibou petit duc. Albert
retrouve le pas léger que doit adopter l’amoureux des forets et l’ambiance du
sous-bois le grise. Il s’arrête car il lui semble entendre chuinter une dame
blanche. Il reprend sa marche et arrive à l’arrière du château. Car on dira ce
qu’on voudra mais vu dans l’obscurité et sortant du bois, la bâtisse est
vraiment imposante.
Il a vite fait de repérer
la porte arrière, dans l’aile gauche. Il sort la clé, ouvre et entre. Il semble
qu’il se trouve dans la cuisine. Il ne sort pas encore sa lampe de poche, ses
yeux se sont accoutumés à l’obscurité et il veut continuer à profiter de sa
vision scotopique. Encore un mot appris d’Enguerrand…
Outre la porte
extérieure, il y a deux portes dans cette cuisine, une qui donne vers le centre
du bâtiment et une qui va vers le sud, qu’il ouvre pour se trouver dans une grande
antichambre, un office peut-être. Dans cette pièce, il n’y a qu’une autre
porte, vers le centre. Il la pousse et entre dans un vaste vestibule-couloir-entrée.
C’est un lieu qui doit être assez obscure malgré la solennelle porte d’entrée
vitrée mais munie d’une élégante grille en fer forgé. Au sol, des tapis dans
des tons foncés et au mur de pesants tableaux encadrés de lourdes dorures
ternies par les années. Inutile de chercher à savoir ce que représentent ces
peintures pompeuses et sombres. En s’avançant vers l’entrée, il y a de part et
d’autre deux portes à deux battants. Albert entre à droite dans un spacieux
espace qui tient du salon et de la salle à manger. La table longue est entourée
de quatorze chaises alors qu’il y tiendrait une vingtaine de couverts. Au bout
de la pièce, près d’une cheminée en marbre, plusieurs fauteuils. Les volets
sont clos mais Albert suppose que l’endroit a une belle vue sur le parc.
Il revient dans le vestibule
et visite la pièce en vis-à-vis. C’est une grande bibliothèque équipée de
rayonnages sur tous les murs. Au milieu, un imposant bureau fait comprendre à l’intrus
qu’il se trouve dans le saint des saints, le lieu du maître du logis. Sur les
rayonnages, il y a un nombre impressionnant de livres, surtout de la belle
reliure. Le genre, se dit Albert, que les bouquinistes et antiquaires sont
heureux de vendre au mètre sans souci du contenu. Mais, plus intéressant, un
bon nombre de planches sont encombrées par une quantité d’objets hétéroclites,
comme un cabinet de curiosités. Il se promet de revenir y faire un tour, sort
et referme doucement la porte. Il revient vers le bout du vestibule, côté nord.
Il y a un bel escalier tournant, logé dans une tourelle arrière qu’il n’avait
pas remarquée en arrivant. Il monte à l’étage où il se trouve dans un couloir, réplique
en moins large du vestibule. Il visite rapidement, ce sont des chambres, une
lingerie, une sorte de salle de jeux. Le tout semble entretenu, il y a apparemment
une chambre qui est régulièrement occupée. Une autre chambre, comme prévu,
semble prête à accueillir quelqu’un. Elle est équipée d’un antique cabinet de
toilette dans lequel on a ajouté une cabine de douche et un WC.
Bien qu’il ait trouvé un
lieu pour dormir, Albert décide de monter à l’étage supérieur où il trouve un
grand grenier et, sur la façade sud, trois petites chambres éclairées par les
lucarnes qu’il avait aperçues.
Il redescend au premier
et décide de prendre possession du lit qui lui a été préparé. Sans crier gare d’Austerlitz,
il s’endort.
*
(à suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire