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jeudi 28 novembre 2019

Appelez-moi Fortunio (42)


Il est près de dix heures, le lendemain, lorsqu’il se réveille. La seule fenêtre de la chambre, donnant vers l’est, est plus petite que les fenêtres de la façade principale. Elle se trouve dans un coin de la chambre et, en ouvrant les rideaux, Albert constate que cette ouverture se trouve dans l’angle formé par une des tourelles et le corps de logis. Un rapide tour dans le cabinet de toilette lui permet de constater qu’il y a de l’eau chaude au robinet et il en profite pour passer sous la douche. Ensuite, il descend à la cuisine pour examiner le frigo. Il constate que tout est prévu pour l’accueillir, il se fait un café accompagné de quelques tranches de pain industriel, confiture et fromage neutre style hôpital.
Un rapide coup d’œil sur le congélateur, il est équipé pour soutenir un siège. A savoir qui a approvisionné tout cela car le Daniel n’est apparemment présent que par intermittence. Mais tout ce qui intéresse Albert, c’est d’être assuré de manger. Et de boire aussi mais il y a de la canette de bière et plusieurs bouteilles de vin, du rouge, du rosé et du blanc. Au diable les économies, le proprio doit être bien dans ses papiers.
Il décide de continuer l’exploration de la maison. Elle lui semble plus lugubre de jour, d’une part les volets des grandes pièces sont fermés et d’autre part le mobilier sombre et les tapisseries défraîchies n’égayent pas l’ensemble. Comme il fait clair dehors, il peut se permettre de s’éclairer avec sa lampe de poche. Il découvre, dans ce qui lui a semblé être un office, un escalier de service qui, d’une part monte vers l’étage et d’autre part descend vers une cave. A l’étage, il arrive dans la lingerie. L’escalier continue et accède au grenier. Le grenier, comme tout grenier qui se respecte, est encombré de vieux meubles, de cartons, de malles et de vieux jouets abîmés. Il redescend jusqu’à la cave, une belle grande cave divisée en trois parties. Il y déniche une jolie réserve de bonnes bouteilles et des alignées de bocaux de conserves, des ferrailles et des bassines. Apparemment, la cave communique avec deux petits caveaux fermés par des grilles métalliques et qui sont certainement situés sous chaque pigeonnier. L’endroit lui donne une impression désagréable et il remonte au rez-de-chaussée. Il commence à trouver le temps long, il va faire un petit tour dans le bureau, non pour les livres mais pour les multiples bibelots qui s’empoussièrent sur les étagères. L’ensemble est vraiment hétéroclite, il y a de délicates camées, portraits étranges de femmes frêles, des coquillages nacrés, des pièces métalliques de toutes sortes dont un barillet de revolver, d’étranges tasses dépareillées, une main qui sort d’un plâtre dont on ne sait si elle est vraie et momifiée ou si c’est un habile montage, un couteau à deux lames, une poupée piquée d’aiguilles, de menaçants masques africains, d’étranges pinces… Le tout posé sans ordre apparent mais dans une confusion peut-être soigneusement arrangée. Albert n’ose toucher à rien, une sorte de crainte superstitieuse l’en empêche.
Il revient à la cuisine, décidé à voir ce qu’il va pouvoir manger. Il sort une brandade de morue congelée, la fait passer au micro-ondes, coupe des tranches de saucisson et ouvre un bocal d’olives. ¨Pour ne pas faire d’impair, il ouvre une bouteille de Muscadet bien frais.
Il s’installe sans façon à la table de la cuisine et médite sur ce qu’il vient de voir. Il avait lu un livre parlant des géométries caniculaires de Rascanges, certains objets lui faisaient penser aux choses décrites, d’étranges objets qui avaient pris leur essor dans notre univers. Il pense aussi à ce livre de Foucault qui cite l’étonnante taxinomie sur les animaux que Borges dit tenir d’ « une certaine encyclopédie chinoise ». Il y a vraiment d’étranges choses dans cette maison…
*
(à suivre...)

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