Auditrices et auditeurs
qui m’écoutez, bonjour. Nous vivons une époque merveilleuse où le langage ne
sert plus à simplement se parler mais à communiquer. La nuance est de taille
car jadis comme naguère, on pouvait causer simplement, que ce soit avec sa
voisine ou son voisin, le boucher ou la boulangère. On pouvait parler de tout
et de rien sans que cela porte à conséquence. Maintenant tout a changé, on ne
cause plus, on ne se parle ni ne tchatche plus mais on communique. Pour
résumer, la communication a remplacé le blablabla, doit-on s’en plaindre ?
Et, plus fort encore, au cas où la communication serait défaillante, il existe
des organismes prêts à nous fournir ce
qu’ils nomment « éléments de langage », ce qui est en réalité un
perfectionnement habile de ce que l’on appelait maladroitement « langue de
bois ». Mais ces éléments de langage sont surtout destinés à ceux qui
peuvent se les payer, ministres, députés ou élus locaux.
Et, comme un malheur
arrive rarement seul, le langage des notables percole insidieusement dans notre
parler de tous les jours. Par exemple, l’utilisation de certains adjectifs
permet de renouveler les substantifs auxquels on les accole : une simple
ferme, avec veaux vaches cochons et couvée n’est jamais qu’une ferme. Mais si
on lui accole l’adjectif « pédagogique », on voit tout de suite
affluer les subventions de tous ordres exsudées par des édiles admiratifs.
C’est magnifique, certes, mais moi, quand j’étais gamin et que j’allais sortir
le fumier de l’étable des vaches de mon voisin en revenant de l’école, il ne
lui est jamais venu à l’idée de me proposer une pédagogie de la fourche et de
la brouette. Si je lui avais dit qu’à l’instar de monsieur Jourdain il faisait
de la pédagogie sans le savoir, cela aurait pu faire tourner le lait des
vaches. Mais nos intellocrates ne se soucient guère de ce genre de problème,
les antibiotiques sont là pour le régler.
Autre adjectif qui fait
fortune en ce moment, c’est l’adjectif médiéval. Si quelque jardin se trouve à
proximité d’une église ancienne, on le baptisera médiéval et on y plantera quelques
simples ou plantes aromatiques pour médiévaliser l’ensemble. Car le
médiévalisme est devenu très tendance et même le mot de médiévalgie a été forgé
pour décrire cette nostalgie d’un âge d’or ou de fer plus ou moins imaginaire.
L’autre jour, circulant à pied non loin d’un tel jardin, je remarquai une
fourgonnette qui fit tourner son diesel pendant près de vingt minutes dans ce
jardin, je suppose que le jardinier médiéval avait pensé qu’au moyen-âge les
livreurs avec leurs charrettes à cheval laissaient fumer les naseaux de leurs
bourrins et sans doute voulait il en faire autant. Pendant ce temps-là, deux
jardinières médiévales, accrochées à leur smartphone, étaient en communication
avec quelque moderne Hildegarde. Cela me laissa pensif, soyons médiévaux, que
diable, et non pas moyenâgeux !
Et enfin l’adjectif le
plus à la mode actuellement, c’est l’adjectif « citoyen ». Tout ce
qui est ainsi qualifié est lavé plus blanc et porte une garantie incontestable.
Et, renforcé par l’adjectif « participatif », cela devient carrément
indubitable car on pense voir se profiler à l’horizon un civisme
autogestionnaire labellisé. A tel point que je me suis demandé si en associant
ces deux adjectifs on ne créait pas un oxymoron qui leur permettrait de se
neutraliser. Mais je suis certain que j’aurai l’occasion d’en reparler.
On voit par-là qu’une
pédagogie participative et citoyenne ne pourrait qu’être médiévale
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