En vedette !

dimanche 3 novembre 2019

Chronique de Serres et d’ailleurs V (9)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Nous vivons une époque merveilleuse où le langage ne sert plus à simplement se parler mais à communiquer. La nuance est de taille car jadis comme naguère, on pouvait causer simplement, que ce soit avec sa voisine ou son voisin, le boucher ou la boulangère. On pouvait parler de tout et de rien sans que cela porte à conséquence. Maintenant tout a changé, on ne cause plus, on ne se parle ni ne tchatche plus mais on communique. Pour résumer, la communication a remplacé le blablabla, doit-on s’en plaindre ? Et, plus fort encore, au cas où la communication serait défaillante, il existe des organismes  prêts à nous fournir ce qu’ils nomment « éléments de langage », ce qui est en réalité un perfectionnement habile de ce que l’on appelait maladroitement « langue de bois ». Mais ces éléments de langage sont surtout destinés à ceux qui peuvent se les payer, ministres, députés ou élus locaux.
Et, comme un malheur arrive rarement seul, le langage des notables percole insidieusement dans notre parler de tous les jours. Par exemple, l’utilisation de certains adjectifs permet de renouveler les substantifs auxquels on les accole : une simple ferme, avec veaux vaches cochons et couvée n’est jamais qu’une ferme. Mais si on lui accole l’adjectif « pédagogique », on voit tout de suite affluer les subventions de tous ordres exsudées par des édiles admiratifs. C’est magnifique, certes, mais moi, quand j’étais gamin et que j’allais sortir le fumier de l’étable des vaches de mon voisin en revenant de l’école, il ne lui est jamais venu à l’idée de me proposer une pédagogie de la fourche et de la brouette. Si je lui avais dit qu’à l’instar de monsieur Jourdain il faisait de la pédagogie sans le savoir, cela aurait pu faire tourner le lait des vaches. Mais nos intellocrates ne se soucient guère de ce genre de problème, les antibiotiques sont là pour le régler.
Autre adjectif qui fait fortune en ce moment, c’est l’adjectif médiéval. Si quelque jardin se trouve à proximité d’une église ancienne, on le baptisera médiéval et on y plantera quelques simples ou plantes aromatiques pour médiévaliser l’ensemble. Car le médiévalisme est devenu très tendance et même le mot de médiévalgie a été forgé pour décrire cette nostalgie d’un âge d’or ou de fer plus ou moins imaginaire. L’autre jour, circulant à pied non loin d’un tel jardin, je remarquai une fourgonnette qui fit tourner son diesel pendant près de vingt minutes dans ce jardin, je suppose que le jardinier médiéval avait pensé qu’au moyen-âge les livreurs avec leurs charrettes à cheval laissaient fumer les naseaux de leurs bourrins et sans doute voulait il en faire autant. Pendant ce temps-là, deux jardinières médiévales, accrochées à leur smartphone, étaient en communication avec quelque moderne Hildegarde. Cela me laissa pensif, soyons médiévaux, que diable, et non pas moyenâgeux !
Et enfin l’adjectif le plus à la mode actuellement, c’est l’adjectif « citoyen ». Tout ce qui est ainsi qualifié est lavé plus blanc et porte une garantie incontestable. Et, renforcé par l’adjectif « participatif », cela devient carrément indubitable car on pense voir se profiler à l’horizon un civisme autogestionnaire labellisé. A tel point que je me suis demandé si en associant ces deux adjectifs on ne créait pas un oxymoron qui leur permettrait de se neutraliser. Mais je suis certain que j’aurai l’occasion d’en reparler.
On voit par-là qu’une pédagogie participative et citoyenne ne pourrait qu’être médiévale

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire