L’entretien est assez rapide.
Daniel ne ressemble nullement à l’idée qu’Albert s’en était fait. C’est un gars
bien bâti, une figure avenante, une belle implantation de cheveux et une voix
agréable. Un vrai monsieur de 24 ans
qui semble à l’aise, sinon dans sa peau, du moins dans ses gestes. C’est dans
ses yeux qu’Albert rencontre la tristesse du vécu des dernières années et
l’angoisse de ce qu’il vit aujourd’hui, comme si le vrai personnage était caché
derrière une apparence fabriquée. D’un seul regard, Albert saisit intuitivement
que sa mission sera de permettre à ces yeux de trouver une lumière différente.
Daniel se détend un peu et dit à Albert qu’il lui fera entièrement confiance
puisqu’il lui est recommandé par le Docteur Setier et qu’elle est la seule
personne qui essaye de l’aider. Il remet donc un jeu de clés en disant qu’il
arrivera au château le lendemain dans l’après-midi.
Ensuite, Albert quitte
l’hôpital et part en direction de Meauzié. Avant de sortir de la ville, il
s’achète quelques provisions de bouche, des journaux et des piles électriques
de rechange. A Meauzié, derrière l’église, il y a un parking ombragé où sont
déjà garées six voitures. Deux d’entre elles semblent avoir pris racine dans
les lieux et elles sont sans aucun doute moins dangereuses sous la protection
de l’église que sur les routes. Sa fourgonnette n’est pas toute neuve, elle non
plus, elle pourra se fondre dans le décor. Il jette un coup d’œil sur les
journaux, juste le temps d’apprendre que les pompiers ont repêché une vache
dans la piscine municipale de Clézeau et Christelle arrive avec sa petite
voiture. Sans tarder, il attrape son sac et ses provisions puis la rejoint.
Elle démarre aussitôt.
-
Inutile de s’attarder ici, personne ne me
connaît mais on ne sait jamais…
-
Tu te méfies donc de tout le monde ou
quoi ? Demande Albert.
-
Ecoute-moi : on est en train de faire
un truc un peu sans queue ni tête mais essayons quand même de rester discrets.
Je ne sais pas qui connait bien Daniel dans la région. J’ai choisi ce village
parce que ce n’est pas le village, ou la commune dont fait partie la Huilière.
-
C’est le nom du château de Daniel ?
-
Oui. Dans la région, ils appellent cela un
château. C’est plus qu’une grosse maison, en effet. C’est le vieux Rambaud qui
l’a acheté juste après-guerre et pour une croûte de pain à ce qu’il paraît. Il
ne menaçait pas ruine mais personne n’en voulait : cette bâtisse était
inoccupée –officiellement s’entend- depuis une dizaine d’année…
-
Et squattée, je suppose ?
-
Pas avant-guerre mais en 43 et 44, elle
aurait servi de repaire à des miliciens et il se serait passé un certain nombre
de choses, disons… lugubres. Avant la libération, les oiseaux se sont envolés
en abandonnant des armes qui ont été récupérées par des plus ou moins
résistants de la dernière heure. Une petite bande qui a été assez vite désarmée
par la Résistance mais ils avaient joué aux justiciers selon leurs propres lois
et leurs propres intérêts. L’affaire a été enterrée mais des haines tenaces
persistent, paraît-il, encore de nos jours. Quoiqu’il en soit, en 45 le vieux
Rambaud a acheté le bâtiment avec dix hectares de bois et de prés. Il n’aurait
pas fait beaucoup de travaux mais il a quand même installé des salles de bains
et le chauffage, ce qui ne doit pas être rien dans un château, même petit !
Il n’était pas pressé de s’y installer, il a commencé à l’habiter au milieu des
années 50 avec son épouse et le fils de celle-ci, qu’il a adopté. Il adorait ce
gamin, même s’il lui a fait des tours pendables et je ne comprends pas comment
il a pu tomber dans le panneau qui a permis aux jardiniers de faire incarcérer
Daniel.
-
Mais, et sa mère ?
(à suivre...)
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