Auditrices et auditeurs
qui m’écoutez, bonjour. Il y a plus de cinquante ans, lorsque je revenais de
mener mes vaches au pré et que je voyais, du haut de ma colline en pays de
Serres, le massif Pic du Midi et les Pyrénées sur leur longueur, je savais que la
pluie n’allait pas tarder. Si le foin était encore dans les prés, il était
temps de le rentrer.
Ah ce Pic du Midi, repère
météorologique autant que cible des antennes de télévision. Et c’est
dernièrement que, pour la première fois, je me suis approché à pied de ce pic
qui était, pour moi, une sorte d’icône lointaine et sacrée. Sur le chemin du retour,
je le pris en photo depuis le col d’Aspin afin de garder en mémoire ce géant de
roc et de pierre. Et, de retour au pays, l’idée me vint de regarder mes clichés
sur mon écran. Je vis soudain un paysage qui me donna, c’était bien le moins,
une impression de déjà-vu. Pas un souvenir récent mais une mémoire ancienne,
celle des chromos de l’almanach du facteur. Ce calendrier, on l’attendait avec
autant de crainte que de ferveur : la crainte de n’avoir pas le billet
indispensable à donner au facteur et la ferveur de découvrir les recettes et
astuces nouvelles, les tarifs de la poste, les saints du calendrier, les jours
de foires et marchés et les plans de nos métropoles départementales. Mais en
premier lieu, le facteur donnait à choisir la couverture. Ah les couvertures,
monsieur Oberthur ! Il y avait des chatons dans leur panier, des chiots
aux oreilles velues, des paysages de saisons brumeux ou éclatants à souhait. Il
y avait aussi les villages pittoresques ou les châteaux grandioses, Espalion,
Collonges-la-Rouge, même une chaumière. Et encore des enfants jouant dans les
prés printaniers. Et enfin, ces paysages typiques, montagnes et vaches à l’estive,
ainsi que me le sortait mon appareil de photos.
Alors, le facteur ouvrait
la porte arrière de sa 4L jaune, il en sortait un carton et proposait la
diversité de ses almanachs. Si l’année précédente on avait pris des chatons, il
fallait passer au paysage ou encore au village typique de l’Aveyron ou du
Cantal. Toutefois, le facteur était un homme qui connaissait ses clients, c’est
qu’on en sait des choses rien qu’en voyant le courrier qui passe. Bien sûr, ce
ne sont pas les cartes postales qui leur en apprenaient. Mais les courriers
plus ou moins bleus et les lettres recommandées en disaient long, rien que par
leur aspect sinistre. Le facteur savait bien souvent qui avait quelques ennuis
et encore plus facilement qui était dans la mouise jusqu’au cou. Et je rendrai
hommage à mon facteur qui, à l’époque et plusieurs années de suite, a
catégoriquement refusé quelque étrenne de ma part. Sans me laisser le choix des
images, il me glissait, un jour où j’étais absent, son almanach dans la cagette
qui me servait de boite aux lettres.
C’était aussi le facteur
qui prévenait quand une vache vagabondait sur la route, qui portait les
médicaments aux vieux de la part du pharmacien et qui vous donnait quatre
pommes d’un cageot reçu d’un de ses usagers. Le paysan isolé attendait son
passage, soit qu’il l’invitât à déjeuner soit qu’il lui proposât un café. Et
parfois, j’en ai encore le cœur triste, il me quémandait une feuille de papier
à rouler en échange de quelques brins de tabac. On fumait une cigarette en
parlant du blé qui pousse, du vent qui souffle et des hirondelles qui partent.
On voit par-là que les
souvenirs s’en vont en fumée.
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