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jeudi 17 octobre 2019

Appelez-moi Fortunio (36)


-          As-tu remarqué que le pont nous appartient ?
-          Oui, personne en vue, mon capitaine.
-          Sais-tu ce qu’il y a en-dessous de nous, ma belle amie ?
-          Il y a les flots qui fluent et flottent et flaquent…
-          Et dans ces flots, sais-tu que des centaines, des milliers d’aloses viennent frayer chaque année ?
-          Ici ?
-          Ici, oui, ici ma douce alosette, dit-il en passant la main sous la jupe qui frémit tant sous la brise que sous la caresse.
Effectivement il passe un zéphyr amoureux sous les nuages qui commencent à noircir. Mais les amants n’ont cure du ciel, ils pensent à la vague où la femelle fait ses bulls dont les mouvements circulaires projettent les œufs vers le mâle qui les féconde. Le balancement léger excite le désir  des amants et ils se sentent à l’unisson des pulsions de la nature. La passerelle est à eux, la nuit les enveloppe et l’univers leur appartient. Leur étreinte se termine et, au même moment, un coup de vent brutal imprime un roulis sauvage à la passerelle. Un éclair suivi d’un coup de tonnerre lance un spectacle féerique. Ils ne peuvent s’empêcher de rester quelques instants, autant pour reprendre leurs esprits que pour prolonger leur plaisir. Mais de grosses gouttes commencent à tomber et ils se mettent à courir en direction du Gravier, rive droite. Ils n’ont pas le temps d’arriver à la voiture avant la pluie qui maintenant tombe en rafales drues et ils sont tellement dégoulinants qu’ils décident de rejoindre à pied l’appartement de Christelle. Nul besoin de courir maintenant qu’ils sont trempés et ils savourent ce feu d’artifice qui éclabousse les façades. Sur la place, Jasmin fait front aux éclairs et ruisselle sans crainte, divin perruquier dont le bronze reflète les éclairs et défie l’orage. Arrivés chez Christelle, ils se précipitent vers la salle de bains pour quitter leurs vêtements.
-          Eh bien, bravo ! Pour une fois que je me mets sur mon trente-et-un, je me le fous minable ! soupire Albert.
-          Voilà au moins un point très positif car s’il s’appelle comme cela c’est qu’il date des années trente. Je n’oserai pas dire qu’il te donne l’air d’un gugusse mais à peu de chose près. Cela dit, ce n’est ni le moment de se lamenter ni celui de dormir. Je n’ai pas encore exposé mon plan d’action et ce n’est pas demain matin que j’en aurai le temps. Voici ce que tu vas faire : vendredi après-midi, à dix-sept heures, tu te présenteras à l’hôpital psy de Villeneuve de Sciérac. Le concierge, dans la guitoune, t’indiquera le chemin. Tout se passera comme si tu étais un proche de Daniel qui vient me rencontrer. Dans mon bureau, tu feras donc sa connaissance, il est essentiel qu’il te connaisse. Nous mettrons rapidement les choses au point avec lui et tu repartiras seul. Nous nous retrouverons dans un village qui s’appelle Meauzié, tu iras te garer derrière l’église et tu viendras dans ma voiture. Nous ferons un premier tour de reconnaissance autour de la maison de Daniel : tu verras, c’est une belle maison, un petit château. Tu pourras repérer les lieux, discrètement, depuis la voiture. Nous irons manger dans une auberge à une vingtaine de kilomètres de là et après le repas, je te largue dans les bois, tu dois te démerder pour arriver incognito dans la maison. Bien sûr, tu auras les clés mais tu rentreras par une porte arrière. Et toujours le plus discrètement possible…
-          Mais je n’en reviens pas de cette histoire, ça rime à quoi tout ce secret ?
(à suivre...)

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