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jeudi 12 décembre 2019

Appelez-moi Fortunio (44)


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-          Qu’est-ce que c‘est que ces khazars ? Demande Albert.
-          Il s’agit d’habitants de la Ciscaucasie qui avaient fondé un empire entre le VIème et le Xème siècle, après quoi ils ont pratiquement disparu.
-          Et pourquoi ce nom ?
-          Première bizarrerie de ces lieux : après que les Russes, en 943, eussent détruit tous les bâtiments de la capitale khazare, les ombres des maisons subsistèrent encore longtemps après leur destruction.
-          Quoi ?
-          Laisse-moi finir. Je n’ai, évidemment, jamais vu la tour et je n’ai connu que la gloriette. Si nous en avons l’occasion, on ira faire un tour quand il y a du soleil. Tu verras alors qu’on ne voit pas l’ombre de la gloriette mais celle d’un bâtiment nettement plus haut. Ne me demande pas pourquoi, inutile d’en parler à qui que ce soit, il vaut mieux ne pas exciter les curiosités malsaines ou les moqueries. Je continue mon histoire. Cela devient intéressant avec le neveu.
Quand Samuel « Sammy » Dépolat s’installe à Soméjac, il a déjà pas mal roulé sa bosse aux quatre coins du globe. Il se dit antiquaire mais il a surtout une activité de faussaire et de receleur, sous des dehors très comme il faut. Il vient d’épouser une fille naturelle d’un noble espagnol, certains disent même d’un Grand d’Espagne. Elle a été confortablement dotée, ce qui permet à Ernest de mettre plus ou moins en veilleuse ses activités douteuses.  C’est lui qui va meubler le château et qui rassemble tous les objets étranges qui sont dans le bureau. Personnage toujours ambigu, malgré ses préférences pour les franquistes, il accueillera certains réfugiés politiques à la fin de la guerre d’Espagne. C’est quelqu’un qui a toujours plusieurs fers sur le feu et, sous couvert d’aider les républicains, il leur soutire des renseignements et des objets de valeurs sans que cela ne lui en coûte guère. Puis arrive la guerre en France. Soméjac est en zone libre mais, peu à peu, Ernest va sentir se resserrer l’étau jusqu’à ce que les allemands franchissent la ligne de démarcation.  Sa mère était d’origine juive et, même s’il restait très discret à ce sujet, il y a des jalousies. Il s’est un peu trop affiché comme maréchaliste et il commence à recevoir des lettres anonymes. Il avait toujours une voiture dans son garage et, du jour au lendemain, il file direction Bossost et l’Espagne. Il confie la garde de sa maison à un ancien policier, proche de la milice. Celui-ci prendra bien soin de la maison mais il acceptera de « prêter » la cave à des miliciens du coin.
-          La cave ? Pourquoi la cave, demande Albert.
-          Parce que c’est la cave ! Le château est éloigné du village, tranquille et on peut y faire parler des prisonniers… et les y garder !
-          Donc, la cave aurait servi de prison…
-          Passons, l’histoire n’est pas très ragoûtante. Au moment de la libération, il y a eu une bataille rangée entre maquisards et miliciens. Ces derniers n’étaient que six, ils se sont fait décaniller. La surprise a été pour après car dans la cave il y avait un mort et un mort-vivant. Il s’en est sorti et il a pu raconter ce qui se passait dans cette cave. Les miliciens enlevaient des gens qui avaient du bien pour les rançonner, sous prétexte qu’ils avaient aidé la résistance. Il y a eu tortures et exécutions. Les corps étaient systématiquement évacués et dispersés dans la nature. Restait l’ancien flic, en l’absence de charges réelles, il a été relâché après avoir fait deux mois de taule. Quand il est sorti, il est revenu ici pour constater que tout était encore en place. Il a continué à surveiller la maison, attendant le retour de Sammy et son épouse. Après la victoire des alliés, l’ex-flic a essayé de reprendre contact. Il semble que le couple ne soit jamais arrivé à sa destination, Saragosse. Sammy n’avait plus de famille directe en France et c’est la famille du côté de sa femme qui a décidé de vendre le château. Mais qui allait acheter cela juste après la guerre ? Il est donc resté en vente pendant plus de deux ans et entretemps, le flic-gardien est décédé. C’est là que mon père entre en scène : fils d’immigrés italiens arrivés en France juste avant la première guerre en traversant les Alpes à pied et qui ont pris le train à Menton en espérant rejoindre Bordeaux.
-          Je vois ! Le train Bordeaux-Vintimille qui passe par Toulouse, Montauban et Agen, coupe Albert.
-          Exactement, mais ils n’avaient d’argent que pour aller à Marseille et ils sont restés dans le train sans trop savoir s’ils seraient encore contrôlés. Eh bien, pas de bol, un contrôleur est passé après Toulouse. Il a eu pitié d’eux mais leur a conseillé de descendre à Agen car un autre contrôleur allait monter et il ne serait certainement pas aussi coulant. Ils ont choisi de descendre avant, à Montauban car ils y avaient une adresse. Bon, excuse-moi, on reprendra plus tard mais je n’ai pas mis ma meule devant le perron, j’en ai pour 10 minutes.
-          Tu pars faire des courses ?
-          Je vais aller acheter des clopes et un journal au village. Le docteur Setier m’a dit de me faire voir…
-          Eh bien, va t’faire voir ! Dit Albert en rigolant.
Il entend partir Daniel et va se réchauffer la fin du pot de café en attendant son retour.

*

 (à suivre...)

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