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Où en étions-nous ? Demande Daniel en
se rasseyant. Ah oui, au moment où la famille Rambolacci descend sur le quai à
Villebourbon. Il est vingt-et-une heures, pas question de prendre un taxi,
c’est pas dans leurs moyens et, de plus, ils vont partir dans le mauvais sens
et se retrouver dans les terrains vagues. Rebroussant leur chemin, ils vont
passer la nuit dans une entrée de maison, serrés les uns contre les autres,
après s’être partagés un quignon de pain. Le lendemain matin, mon grand-père a une
illumination : il voit arriver une équipe de terrassiers et de maçons et
il va aussitôt demander s’il y a de l’embauche. Comme il y avait une pénurie de
main d’œuvre, il est embauché de suite avec mon père qui, à l’époque, n’a que treize
ans mais il dit en avoir quinze. Les deux hommes vont donc prendre le travail
en marche et ma grand-mère va partir avec ma tante – elle a quatorze ans – à la
recherche de l’adresse qu’on leur a donnée. Cela se situe loin sur la route de
Paris et elles vont marcher pendant près de trois heures. Elles arrivent dans
une petite ferme tenue par des italiens vaguement de leur famille. Ils
accepteraient de les dépanner mais seulement s’ils acceptent de loger dans une
sorte de poulailler. Elles ne savent comment faire car si les hommes
travaillent à Villebourbon, comment feront-ils pour aller et venir à
pied ? Il y a bien un autobus qui pourrait les rapprocher mais il faut
payer le trajet. Elles acceptent quand même la proposition, la mère refera le
trajet à pied pour aller chercher les hommes et ils reviendront tous les trois
en bus. Les compatriotes les rassurent, ils leur donneront de la nourriture si
la gamine aide pour la ferme. C’est comme cela qu’ils ont commencé et que mon
père, Virgilio Rambolacci, a démarré dans la vie en poussant des brouettes et
en faisant passer les seaux et les paniers. Son père n’aimait pas ce métier et,
plus tard, il a trouvé une métairie vers Caussade. Bosseurs comme ils étaient,
les parents à la métairie, la fille employée de maison et le fils qui avait
pris goût à la maçonnerie, ils avaient tout à gagner et c’est ce qu’ils ont
fait. Les parents ont fini par acheter leur ferme, la fille qui après son
travail allait prendre des cours dans une sorte de patronage et qui deviendra
comptable et le fils qui avait les dents les plus longues rêvait de monter sa
propre entreprise…
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Ce qui est arrivé, me semble-t-il ?
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Ce qui est arrivé, oui ! Il ne savait
ni lire ni écrire mais il savait si bien compter dans sa tête qu’il te faisait
un devis sans difficulté. Mais ce fut seulement après la guerre qu’il démarra,
dans les années 20 car à 17 ans, il avait devancé l’appel et il serait parti
sur le front s’il n’y avait eu l’armistice. Il ne s’en est pas plaint d’ailleurs.
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On peut comprendre…
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Il
voulait réussir par lui-même et il a créé sa petite entreprise de maçonnerie. Il
a embauché pour la gestion de son affaire une amie de sa sœur qui lui faisait
sa comptabilité - et même plus - jusqu’au jour où, au bout de sept ou huit ans,
elle est partie avec la caisse et un galistro qu’elle avait déjà avant de
connaître mon père. Il lui restait à repartir à zéro et comme il en venait, de
zéro, il connaissait le chemin ! Comme il me l’a raconté, il lui restait
un vélo, une gamate, une truelle et un fil à plomb. La crise de 29 l’a plombé
et il a galéré pratiquement jusqu’en 44. Pendant la guerre, il a travaillé
comme ouvrier et il a eu de la chance d’échapper au service travail obligatoire,
le STO. En août 44, juste avant la libération, il conduisait un petit camion.
Sur la route de Caussade, il voit un groupe de maquisards en fuite et, d’une
intuition, il s’arrête. En fait, il a été leur sauveur car, tombés en panne,
ils étaient à la merci des allemands. Il les a véhiculés jusqu’à Caylus mais il
ne pouvait plus revenir à Montauban, il était grillé et il est donc resté dans
le maquis. Pour les maquisards, ils gagnaient un homme mais surtout un camion
et un chauffeur.
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Il est tombé dans la marmite, en quelque
sorte ?
(à suivre...)
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