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jeudi 11 juin 2020

Appelez-moi Fortunio (70)


L’homme s’y met le premier, Albert, sortant un petit calepin, vérifie et fait passer le papier à la Germaine. Celle-ci s’exécute puis, l’œil mauvais, rend le papier. Albert l’emporte et sort de la cuisine, il le range dans le bureau puis revient.
-          Bon, avant de se quitter, vous allez nous parler de la machine des Carpathes, tout de même !
-          Bof, c’est une espèce de lanterne magique qui marche au carbure. Y’a des espèces de miroirs qui tournent. On l’allume et puis ça tourne tout seul. Le vieux Rambaud nous l’avait montrée et il avait dit que cette lanterne avait été fabriquée par un lecteur du livre de Jules Verne.
-          Bien, dit Albert. Et elle est passée où, cette merveilleuse machine ?
-          Sur le perron, répond René, tu comprends bien que j’ai persuadé monsieur de ramener le matériel à la maison, enfin à l’extérieur car c’est une fabrique d’acétylène, ce truc ! Juste un mot : nous pourrions peut-être raccompagner ces messieurs-dames ? A vrai dire, pour que monsieur comprenne bien que je ne plaisantais pas, je lui ai planté un pruneau dans un pneu de sa bagnole pour éviter qu’il file en douce. On l’éclairera et on s’assurera ainsi de leur départ.
-          Eh bien, en avant pour une autre promenade nocturne, déclare Albert.
Ils sortent tous les quatre, passent à côté de la gloriette puis s’enfoncent dans les bois jusqu’au mur de clôture du parc dans lequel il y a une ouverture plus ou moins fermée d’une grille. Au-delà, on est, toujours dans un bois, sur un  chemin qui donne sur une route. Une 403 y est garée, à l’abri des regards indiscrets, prête à repartir si ce n’est une roue à plat. Le Roger, éclairé par Albert, ouvre la malle et sort cric, manivelle et roue de secours. Il lui faut une demi-heure, eu égard à la qualité du terrain, pour changer de roue. Cela fait, Albert lance la cérémonie des adieux :
-          Maintenant, madame Germaine et monsieur Roger, allez au diable et que l’on ne vous revoie plus, qu’on n’entende plus jamais parler de vous et vous seriez bien inspirés de déménager le plus loin possible, au Pôle nord ou dans le Kalahari. Allez, foutez le camp, déguerpissez !
Les deux nigauds ne se font pas prier et démarrent dans une noire fumée signée Indenor. René et Albert attendent, sur la route, de voir disparaître les feux arrière puis ils reviennent sur leurs pas en silence. Arrivés à la gloriette, René s’arrête :
-          C’est ici que les romains s’empoignèrent, mon cher Fortunio ! J’étais caché dans les fourrés épais et je n’ai pas vu nos diaboliques mettre en place la lanterne magique. Mais je les ai bien vus lorsqu’ils sont venus la récupérer et l’éteindre. Je les ai suivi, j’ai vu qu’ils entraient dans la gloriette puis le Roger est ressorti avec la machine. Je l’ai laissé partir et j’ai pénétré dans la gloriette. L’intérieur est aménagé et, je dirais, presque habitable…
-          C’est là que le vieux a terminé ses jours, coupe Albert.
-          Foutre ! Ce n’est quand même pas le grand confort. Dans un angle, il y a un réduit qui devait servir de chiotte puisqu’il y a encore un de ces seaux hygiéniques à l’ancienne. Mais aussi, il y a une trappe, viens voir ! On descend quelques marches, on suit un petit couloir souterrain qui va vers la maison. On arrive à un escalier en colimaçon très étroit qui monte, qui monte ? Jusqu’au pigeonnier tout en haut de la tour gauche. Là il y a une trappe qui redescend, je suppose, dans le grenier. Je n’ai pas voulu perdre de temps et alerter la gonzesse puisque tu devais en faire ton affaire. Il y a un gros verrou, je l’ai doucement poussé, ce qui coupait la retraite de notre jambe de bois. Et je suis redescendu au plus vite pour voir où était le gonzier. Il fumait tranquillement une clope au volant de la 403. Ni une ni deux, je balance un pruneau dans la roue arrière, tant pis si les voisins se plaignent de tapage nocturne. Le Roger s’attendait à tout sauf à un coup pareil, il en a tombé la clope. J’ai annoncé que c’était moi la cavalerie et qu’il ferait bien de m’écouter : je lui ai donné l’ordre de ramener la machine infernale at home, ce qu’il fit sous la surveillance de monsieur browning. La suite, tu la connais…
-          Bel esprit de décision, mon bon La-Science, cela vous vaudra mes félicitations et un bon canon de rouge, déclara Albert.
-          Ah oui, un canon de 75… centilitres ! Je meurs de soif ;
Ils entrèrent dans le château et, comme ils avaient été assez sobres au repas, ils se donnèrent une généreuse compensation en pain, fromage et Bourgueil avant d’aller se coucher.

*

(à suivre...)

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