L’homme s’y met le
premier, Albert, sortant un petit calepin, vérifie et fait passer le papier à
la Germaine. Celle-ci s’exécute puis, l’œil mauvais, rend le papier. Albert
l’emporte et sort de la cuisine, il le range dans le bureau puis revient.
-
Bon, avant de se quitter, vous allez nous
parler de la machine des Carpathes, tout de même !
-
Bof, c’est une espèce de lanterne magique
qui marche au carbure. Y’a des espèces de miroirs qui tournent. On l’allume et
puis ça tourne tout seul. Le vieux Rambaud nous l’avait montrée et il avait dit
que cette lanterne avait été fabriquée par un lecteur du livre de Jules Verne.
-
Bien, dit Albert. Et elle est passée où,
cette merveilleuse machine ?
-
Sur le perron, répond René, tu comprends
bien que j’ai persuadé monsieur de ramener le matériel à la maison, enfin à
l’extérieur car c’est une fabrique d’acétylène, ce truc ! Juste un
mot : nous pourrions peut-être raccompagner ces messieurs-dames ? A
vrai dire, pour que monsieur comprenne bien que je ne plaisantais pas, je lui
ai planté un pruneau dans un pneu de sa bagnole pour éviter qu’il file en
douce. On l’éclairera et on s’assurera ainsi de leur départ.
-
Eh bien, en avant pour une autre promenade
nocturne, déclare Albert.
Ils sortent tous les
quatre, passent à côté de la gloriette puis s’enfoncent dans les bois jusqu’au
mur de clôture du parc dans lequel il y a une ouverture plus ou moins fermée d’une
grille. Au-delà, on est, toujours dans un bois, sur un chemin qui donne sur une route. Une 403 y est
garée, à l’abri des regards indiscrets, prête à repartir si ce n’est une roue à
plat. Le Roger, éclairé par Albert, ouvre la malle et sort cric, manivelle et
roue de secours. Il lui faut une demi-heure, eu égard à la qualité du terrain,
pour changer de roue. Cela fait, Albert lance la cérémonie des adieux :
-
Maintenant, madame Germaine et monsieur
Roger, allez au diable et que l’on ne vous revoie plus, qu’on n’entende plus
jamais parler de vous et vous seriez bien inspirés de déménager le plus loin
possible, au Pôle nord ou dans le Kalahari. Allez, foutez le camp, déguerpissez !
Les deux nigauds ne se
font pas prier et démarrent dans une noire fumée signée Indenor. René et Albert
attendent, sur la route, de voir disparaître les feux arrière puis ils
reviennent sur leurs pas en silence. Arrivés à la gloriette, René s’arrête :
-
C’est ici que les romains s’empoignèrent,
mon cher Fortunio ! J’étais caché dans les fourrés épais et je n’ai pas vu
nos diaboliques mettre en place la lanterne magique. Mais je les ai bien vus
lorsqu’ils sont venus la récupérer et l’éteindre. Je les ai suivi, j’ai vu qu’ils
entraient dans la gloriette puis le Roger est ressorti avec la machine. Je l’ai
laissé partir et j’ai pénétré dans la gloriette. L’intérieur est aménagé et, je
dirais, presque habitable…
-
C’est là que le vieux a terminé ses jours,
coupe Albert.
-
Foutre ! Ce n’est quand même pas le
grand confort. Dans un angle, il y a un réduit qui devait servir de chiotte
puisqu’il y a encore un de ces seaux hygiéniques à l’ancienne. Mais aussi, il y
a une trappe, viens voir ! On descend quelques marches, on suit un petit
couloir souterrain qui va vers la maison. On arrive à un escalier en colimaçon
très étroit qui monte, qui monte ? Jusqu’au pigeonnier tout en haut de la
tour gauche. Là il y a une trappe qui redescend, je suppose, dans le grenier.
Je n’ai pas voulu perdre de temps et alerter la gonzesse puisque tu devais en
faire ton affaire. Il y a un gros verrou, je l’ai doucement poussé, ce qui
coupait la retraite de notre jambe de bois. Et je suis redescendu au plus vite
pour voir où était le gonzier. Il fumait tranquillement une clope au volant de
la 403. Ni une ni deux, je balance un pruneau dans la roue arrière, tant pis si
les voisins se plaignent de tapage nocturne. Le Roger s’attendait à tout sauf à
un coup pareil, il en a tombé la clope. J’ai annoncé que c’était moi la
cavalerie et qu’il ferait bien de m’écouter : je lui ai donné l’ordre de
ramener la machine infernale at home, ce qu’il fit sous la surveillance de
monsieur browning. La suite, tu la connais…
-
Bel esprit de décision, mon bon
La-Science, cela vous vaudra mes félicitations et un bon canon de rouge,
déclara Albert.
-
Ah oui, un canon de 75… centilitres !
Je meurs de soif ;
Ils entrèrent dans le château
et, comme ils avaient été assez sobres au repas, ils se donnèrent une généreuse
compensation en pain, fromage et Bourgueil avant d’aller se coucher.
*
(à suivre...)
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