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jeudi 18 juin 2020

Appelez-moi Fortunio (71)


III. Interlude

Le lendemain matin, Albert téléphone à Christelle. Par chance, c’est bien elle qui décroche car il n’aurait pas voulu tomber sur le mari. Il fait un compte-rendu rapide de leur activité et Christelle lui dit qu’il devra attendre le lendemain pour que Daniel soit rapatrié dans son château et René ramené à l’hôpital où se trouve son véhicule. Ensuite, elle ne pourra pas venir le chercher avant le mercredi soir. Il la trouve un peu amère car il a résolu le problème rapidement et le voilà assigné à résidence.
Il fait un rapide compte-rendu à René, qui se marre, n’ayant, lui, à attendre que jusqu’au lendemain.
-          Ah oui, tu trouves cela drôle, toi ! Eh bien, rappelle-toi que moi, ça ne me fait pas rire ! Et même pas du tout ! J’ai des chantiers, moi, monsieur La-Science !
-          Allons, allons, ne nous énervons pas, mon bon Fortunio et faisons contre mauvaise fortune bon cœur. D’abord, je vais te dire : on n’est pas à pied ici, on a quand même une pétrolette devant la maison. Ensuite, va au bout de ta tâche qui est de remettre le Daniel sur les rails dans cette sacrée bicoque. Alors je vais te dire : on va démarrer cette meule et aller faire un tour au patelin voisin. Si tout va bien, on poursuit jusqu’à Meauzié où se trouve ta fourgonnette. Si tout va bien et si le niveau de carburant le permet, bien sûr. Ensuite, il y a une chose que je veux absolument voir aujourd’hui, c’est l’ombre de ta tour tartare…
-          Khazare, pas tartare espèce de cannibale !
-          Comme tu voudras. Le tout est de repérer le meilleur endroit par rapport au soleil. Donc, primo, on va examiner la position de la gloriette par rapport au soleil et on décidera de l’heure la plus propice. Deuzio, on lève l’étendard de la révolte, je démarre la meule et tu montes en tape-cul avant de faire une entrée triomphale au village.
-          Pour l’ombre, je ne garantis rien…
-          Mon cher Fortunio, tel mon glorieux prédécesseur Alphonse Allais qui, arrivant à la caserne avec Georges d’Esparbès, réclamait à cor et à cris l’ombre du drapeau, je réclame l’ombre khazare !
-          Kézaco ce Georges machin ?
-          Georges d’Esparbès, un écrivain de Valence d’Agen, un peu pompeux mais fieffé farceur aussi. Qu’importe, fonçons à la gloriette !
Ils sortent dans le parc, pouvant, pour la première fois, apprécier le calme romantique du lieu. Ils entrent dans la gloriette et René montre  à Albert un lieu, sorte de cabinet où se trouve en effet un de ces anciens seaux hygiéniques. Dans un coin, une trappe est ouverte et on peut voir un escalier assez raide qui descend vers un couloir qui se dirige vers le château.
-          Voilà où madame Germaine est passée hier soir. Au bout du couloir, il y a un bijou de petit escalier à vis qui monte jusqu’au pigeonnier, là où j’ai clavé la mégère dans le grenier.
Ils ressortent. Le soleil commence à monter et ils estiment que le soleil viendra sur la gloriette vers neuf heures et demie.
-          Mon bon Fortunio, le temps de préparer un bon cafiot et d’avaler un petit déjeuner, nous serons aux premières loges pour vérifier la légende de l’ombre.
Ils reviennent au château et en passant René teste la mobylette qui démarre sans hésiter. Ils prennent une bonne collation puis reviennent vers la gloriette.
-          Ah, il est encore un peu tôt mais vu la hauteur du soleil, je crois que le moment est bien choisi, dit René. Je te dis tout de suite que, si je vois l’ombre d’une tour, je te paie dix kilos de prunes, mon pote !
-          Pruneaux cuits ou pruneaux crus ?
-          Tu te les mettras où tu… Attention, voilà le soleil !
Ils sont là, tous les deux, à regarder quand, d’un coup, un gros nuage passe devant le soleil. Il y a peu de vent en altitude et il faut une vingtaine de minutes pour que le soleil redevienne apparent.
-          Incroyable, dit René, incroyable. Je n’y crois pas, c’est incompréhensible ! On dirait bien que c’est vrai cette histoire… attends, ce ne serait pas une ombre portée de la maison ? Un arbre ? Non, il n’y a rien qui permette d’expliquer ça. Pourtant, c’est bien comme ta dame blanche, une illusion d’optique, je sais pas quoi…
-          Tu ne crois pas à la possibilité d’une rémanence de l’ombre ? Il paraît que les bâtiments des villes khazares, plusieurs siècles après leur destruction, avaient encore une ombre portée…
Ils restent là pendant plus d’une heure à regarder l’ombre avant qu’un groupe de nuages ne vienne encore perturber le spectacle.
-          Bon pour dix kilos de prunes, mon cher Fortunio, mais je crois qu’il y a un truc…
-          T’auras qu’à écrire au courrier des lecteurs de science et vie junior, ils te répondront bien…
-          Et pourquoi pas ? Chiche ! Bon, maintenant que j’ai vu ça, enfourchons notre destrier et direction Soméjac !

*
 
Arrivé à ce point, le narrateur se retourne, contemplant le chemin parcouru, comme s’il avait gravi une colline. Il avait pris bien des notes sur toutes les aventures précédentes mais pour la suite, non seulement il n’a plus grand-chose dans son cahier d’écolier mais encore la fin de l’histoire fut quelque peu noyée dans les brumes de l’alcool et de la fatigue. Faut-il raconter la suite (et fin) de cette histoire ? Oui, simplement pour que le lecteur sache vers quel fabuleux destin courent les protagonistes.

*
(à suivre...)

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