III.
Interlude
Le lendemain matin,
Albert téléphone à Christelle. Par chance, c’est bien elle qui décroche car il
n’aurait pas voulu tomber sur le mari. Il fait un compte-rendu rapide de leur
activité et Christelle lui dit qu’il devra attendre le lendemain pour que
Daniel soit rapatrié dans son château et René ramené à l’hôpital où se trouve
son véhicule. Ensuite, elle ne pourra pas venir le chercher avant le mercredi
soir. Il la trouve un peu amère car il a résolu le problème rapidement et le
voilà assigné à résidence.
Il fait un rapide
compte-rendu à René, qui se marre, n’ayant, lui, à attendre que jusqu’au
lendemain.
-
Ah oui, tu trouves cela drôle, toi !
Eh bien, rappelle-toi que moi, ça ne me fait pas rire ! Et même pas du
tout ! J’ai des chantiers, moi, monsieur La-Science !
-
Allons, allons, ne nous énervons pas, mon
bon Fortunio et faisons contre mauvaise fortune bon cœur. D’abord, je vais te
dire : on n’est pas à pied ici, on a quand même une pétrolette devant la
maison. Ensuite, va au bout de ta tâche qui est de remettre le Daniel sur les
rails dans cette sacrée bicoque. Alors je vais te dire : on va démarrer
cette meule et aller faire un tour au patelin voisin. Si tout va bien, on
poursuit jusqu’à Meauzié où se trouve ta fourgonnette. Si tout va bien et si le
niveau de carburant le permet, bien sûr. Ensuite, il y a une chose que je veux
absolument voir aujourd’hui, c’est l’ombre de ta tour tartare…
-
Khazare, pas tartare espèce de
cannibale !
-
Comme tu voudras. Le tout est de repérer le
meilleur endroit par rapport au soleil. Donc, primo, on va examiner la position
de la gloriette par rapport au soleil et on décidera de l’heure la plus
propice. Deuzio, on lève l’étendard de la révolte, je démarre la meule et tu
montes en tape-cul avant de faire une entrée triomphale au village.
-
Pour l’ombre, je ne garantis rien…
-
Mon cher Fortunio, tel mon glorieux
prédécesseur Alphonse Allais qui, arrivant à la caserne avec Georges
d’Esparbès, réclamait à cor et à cris l’ombre du drapeau, je réclame l’ombre
khazare !
-
Kézaco ce Georges machin ?
-
Georges d’Esparbès, un écrivain de Valence
d’Agen, un peu pompeux mais fieffé farceur aussi. Qu’importe, fonçons à la
gloriette !
Ils sortent dans le parc,
pouvant, pour la première fois, apprécier le calme romantique du lieu. Ils
entrent dans la gloriette et René montre
à Albert un lieu, sorte de cabinet où se trouve en effet un de ces
anciens seaux hygiéniques. Dans un coin, une trappe est ouverte et on peut voir
un escalier assez raide qui descend vers un couloir qui se dirige vers le
château.
-
Voilà où madame Germaine est passée hier
soir. Au bout du couloir, il y a un bijou de petit escalier à vis qui monte
jusqu’au pigeonnier, là où j’ai clavé la mégère dans le grenier.
Ils ressortent. Le soleil
commence à monter et ils estiment que le soleil viendra sur la gloriette vers
neuf heures et demie.
-
Mon bon Fortunio, le temps de préparer un
bon cafiot et d’avaler un petit déjeuner, nous serons aux premières loges pour
vérifier la légende de l’ombre.
Ils
reviennent au château et en passant René teste la mobylette qui démarre sans
hésiter. Ils prennent une bonne collation puis reviennent vers la gloriette.
-
Ah, il est encore un peu tôt mais vu la
hauteur du soleil, je crois que le moment est bien choisi, dit René. Je te dis
tout de suite que, si je vois l’ombre d’une tour, je te paie dix kilos de
prunes, mon pote !
-
Pruneaux cuits ou pruneaux crus ?
-
Tu te les mettras où tu… Attention, voilà
le soleil !
Ils sont là, tous les
deux, à regarder quand, d’un coup, un gros nuage passe devant le soleil. Il y a
peu de vent en altitude et il faut une vingtaine de minutes pour que le soleil
redevienne apparent.
-
Incroyable, dit René, incroyable. Je n’y
crois pas, c’est incompréhensible ! On dirait bien que c’est vrai cette
histoire… attends, ce ne serait pas une ombre portée de la maison ? Un
arbre ? Non, il n’y a rien qui permette d’expliquer ça. Pourtant, c’est
bien comme ta dame blanche, une illusion d’optique, je sais pas quoi…
-
Tu ne crois pas à la possibilité d’une
rémanence de l’ombre ? Il paraît que les bâtiments des villes khazares,
plusieurs siècles après leur destruction, avaient encore une ombre portée…
Ils restent là pendant
plus d’une heure à regarder l’ombre avant qu’un groupe de nuages ne vienne
encore perturber le spectacle.
-
Bon pour dix kilos de prunes, mon cher
Fortunio, mais je crois qu’il y a un truc…
-
T’auras qu’à écrire au courrier des
lecteurs de science et vie junior, ils te répondront bien…
-
Et pourquoi pas ? Chiche ! Bon,
maintenant que j’ai vu ça, enfourchons notre destrier et direction
Soméjac !
*
Arrivé à ce point, le
narrateur se retourne, contemplant le chemin parcouru, comme s’il avait gravi
une colline. Il avait pris bien des notes sur toutes les aventures précédentes
mais pour la suite, non seulement il n’a plus grand-chose dans son cahier
d’écolier mais encore la fin de l’histoire fut quelque peu noyée dans les
brumes de l’alcool et de la fatigue. Faut-il raconter la suite (et fin) de
cette histoire ? Oui, simplement pour que le lecteur sache vers quel
fabuleux destin courent les protagonistes.
*
(à suivre...)
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