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Alors, maintenant qu’on en est aux choses
sérieuses, je continue, dit Thérieux. J’arrive donc au service de monsieur Sammy
à l’âge de quatorze ans, en 36. Je vais donc passer un peu plus de cinq ans au
château. Parce qu’à l’époque, on avait peu de temps libre et puis que
faire ? A part la fête votive, comme aujourd’hui, on sortait peu. En tout
cas les pitchouns comme moi. Il y avait toujours à faire dans le château ou
dehors et si on m’appelait, il fallait que je réponde présent. Mais j’ai très
vite monté en grade, si je peux dire, puisque monsieur Sammy me faisait
confiance pour partir avec lui. Ensuite, j’ai passé beaucoup de temps avec
monsieur Sylvère car les patrons, je veux dire monsieur et madame,
s’absentaient souvent.
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Elle était d’origine espagnole, non ?
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Oui, mais je ne vous dirai plus son prénom
car on disait madame tout court et monsieur ne l’appelait jamais par son
prénom. Il disait chère ou ma chère ou encore très chère. Donc, j’étais souvent
avec monsieur Sylvère. Il m’avait appris à écrire dans les livres de compte,
tenir les inventaires à jours et même parfois faire des courriers. Il disait
que ça me servirait plus tard et il avait raison.
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Vous serez surpris en lisant les cahiers
de Juliette Bertinier, elle aussi… mais pardon, continuez.
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Vous m’intriguez, là, dit l’autre en
enfournant un gros quignon de pain couvert d’un succulent pâté. Le plus
intéressant, c’était faire l’inventaire, avec toutes ces choses bizarres. Là,
monsieur Sylvestre racontait car il aimait ça. Il avait été embauché en tant
que secrétaire particulier mais son vrai truc, c’était d’écrire des livres.
Alors ça l’arrangeait bien quand je tenais les livres de comptes, il se mettait
à écrire pour lui.
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Et il écrivait quoi ?
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Des romans, il m’avait dit. Parfois il me
lisait des passages, le soir. Qu’est-ce qu’il écrivait bien, cet homme !
Mais je disais qu’il me parlait de tout ce bric-à-brac d’antiquaires, je ne me
rappelle pas de tout mais en tout cas, il y a une histoire bien
particulière : il vous a parlé de la gloriette, Daniel ?
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Un peu, oui, il m’a dit qu’elle avait été
bâtie sur les fondations d’une tour tartare..
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Khazare, pardon ! Peu importe, vous a-t’
il parlé de la légende ?
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L’ombre de la tour ?
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Oui. Vous l’avez vue ?
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Eh bien oui, ce matin même, avec mon
collègue on voulait en avoir le cœur net !
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Il faut vraiment le voir pour le croire…
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Donc, ce n’est pas une légende ?
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Ah mais vous ne connaissez pas la suite
alors ! La légende voudrait que celui –ou celle- qui voit cette ombre
tombera amoureux dans les trois jours qui suivent. Méfiez-vous donc, jeune
homme, vous qui l’avez vue aujourd’hui !
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Mais, vous ? Vous l’avez vue ?
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Eh oui et trois jours plus tard, j’ai
rencontré mon Ida. Mais à l’époque elle
ne voulait pas de moi, elle me disait qu’on était trop jeunes et c’était vrai,
on avait pas encore dix-sept ans tous le deux. Mais j’étais pincé comme il faut
–té, elle me regarde, elle sait de quoi je parle- et quatre ans plus tard, j’ai
eu l’idée qu’il me fallait. Parce que Ida, elle n’avait pas changé d’avis,
pourtant j’étais déjà à la poste mais raï… Donc, je lui dis qu’on va aller voir
le parc du château, un matin de beau soleil, et que je vais lui montrer quelque
chose de bizarre. Elle se méfiait bien un peu mais ce n’était pas ce qu’elle
croyait, elle ne connaissait pas la légende, elle. Ce jour-là, on était
tranquilles, il n’y avait personne. Je lui fais voir l’ombre de la tour. Elle a
toujours cru qu’il y avait un trucage. On fait une promenade dans le parc,
avant de repartir, on va encore regarder l’ombre et puis on repart. Je ne dis
toujours rien de la légende mais – et ça vous pouvez me croire sur parole-
trois jours après, je la croise à la fin de la tournée dans le village, elle me
prend à part et me demande si je veux toujours la marier. Fou de joie,
j’étais ! Eh bien, on s’est mariés trois mois plus tard et voyez, on est
toujours là !
(à suivre...)
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