Sur ces entrefaites, le bus arrive à son terminus, la gare routière de Saint-Lambaire. Par chance, Zélie Lequeuvre part en sens inverse d’Hervé qui revient doucement chez lui. Il est fourbu, la journée a été pleine, riche en émotions, la marée puis la découverte de la chaumière, puis Eugène, Gégé, Dédé, Zézé…
Arrivé rue Équoignon, il fait le souhait de ne pas tomber sur Édith et est exaucé. Il monte chez lui, se déshabille, passe sous une douche chaude et, une fois séché, enfile un peignoir et se vautre dans un fauteuil où il ne tarde pas à s’endormir. Il est dix-sept heures. Il se réveille deux heures plus tard, avale un repas sommaire généreusement arrosé d’un gros rouge sans concessions et se couche pour de bon. Il replonge dans le sommeil sans aucune hésitation.
*
Vendredi matin, il se réveille assez tard. Il se sent un peu bizarre. Il s’en veut de s’être laissé prendre par la marée et se demande ce qu’il lui a pris de s’aventurer ainsi. à son âge, il a été ridicule. Mais par contre, force lui est de reconnaître que cela lui a permis de découvrir la chaumière et son ambiance si particulière.
Pour lui, ce qui ressort de ce qu’il lui est arrivé, c’est qu’il pourrait presque se croire manipulé par les objets et les évènements. C’est ce sacré petit tableau qui est derrière tout cela. Et Marondeau est bien content de s’en être débarrassé. Il avait gardé cet objet au chaud en attendant de trouver un cobaye. Oui, voilà, il est un cobaye, et comme chaque fois ce petit tableau exercera son maléfice sur celui qui l’a en sa possession. Puis il reviendra d’une manière ou d’une autre chez Marondeau.
Il a été prévenu, Raymond lui a raconté l’histoire du couteau, puis celle du tableau. Si lui, Hervé, avait été mis en possession du couteau, Dieu sait ce qu’il lui serait arrivé. Mais le tableau a déjà fait mourir le représentant, il a fait disparaître l’homme au yacht… allons bon, voilà que je me mets à délirer, à donner du crédit aux insinuations loufoques de Raymond, se dit-il. Maintenant, je suis trop engagé dans l’aventure de ce tableau, mais je ne veux plus me laisser dériver au gré des évènements. Donc, primo : ce tableau est à moi, mais ils sont deux et ces deux tableaux seront accrochés chez moi. Secundo : il y a un mystère au sujet de ces tableaux et dans ce mystère il y a trois protagonistes, Leyden, la jeune fille et la chaumière. Tertio, il y a encore une personne qui les a connus et qui a peut-être la clé de l’énigme. Donc moi, Hervé, je vais aller voir si je peux le faire parler. Cela ne m’apportera rien de savoir tout cela, mais je suis à la retraite et je décide d’en faire une de mes occupations. Avant tout, je vais aller voir Marondeau, car ce rigolo s’amuse à tirer les ficelles puis, quand cela ne l’amuse plus, il me renvoie comme un chien mouillé. Je vais lui dire deux mots à celui-là. Ensuite, pour bien marquer mon indépendance, je vais aller voir l’atelier de Sara. Et après, j’irai quand cela me chantera, pas quand j’y serai poussé par Dieu sait quelle destinée, rencontrer le fameux Achille. à dater de maintenant et de tout de suite, c’est moi qui décide où je vais et quand j’y vais.
Nanti de ces fortes résolutions, il s’habille, descend faire un tour et cherche un plat du jour appétissant dans un petit restaurant du quartier. Le temps est doux et agréable, il trouve une tête de veau sauce gribiche tout à fait à son goût puis il part faire un tour sur les remparts jusqu’après quinze heures.
Au retour, il passe donc à la première phase de son plan et se dirige vers la boutique de Marondeau. Il pousse la porte et entre, il tend le cou en s’avançant vers le fond du magasin, mais n’aperçoit qu’une dame fort âgée qui tricote, assise sur le fauteuil en face de celui de Raymond. Il s’approche et la dame sursaute en se rendant compte de sa présence.
– Ah ! Vous m’avez fait peur, je ne vous avais pas entendu arriver. Mais j’entends mal, vous savez…
– Bonjour Madame, monsieur Marondeau est-il là, s’il vous plait ?
– Oh non, je suis ici parce que Raymond est bien malade, je suis sa cousine Que désiriez vous savoir ?
– Raymond, malade ? Ce n’est pas trop grave, j’espère ?
– Je ne crois pas, vous savez il n’est pas souvent malade mais quand cela lui arrive, il n’aime pas tenir son magasin. Mais il ne supporte pas non plus l’idée que les clients trouvent porte close plusieurs jours de suite. Alors je viens et j’ouvre le magasin. Je me contente de recevoir les clients, je ne connais rien aux antiquités, mais j’assure une présence. Raymond sera bientôt rétabli, je peux lui dire que vous êtes passé si vous le voulez.
– Ce serait gentil de votre part de lui dire que je souhaite qu’il soit sur pied le plus rapidement possible. Je m’appelle Hervé Magre.
(à suivre...)
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