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jeudi 26 août 2021

Dernier tableau (40)

– Vous êtes Hervé ! Ah, mais alors il m’a parlé de vous, il était si contrarié ! Il m’a dit qu’il avait été désagréable et qu’il vous avait si injustement reçu la veille du jour où il a arrêté de venir au magasin. Il était si mal, m’a-t-il dit, qu’il vous a pratiquement mis à la porte. Il s’en veut terriblement de vous avoir mal accueilli et je suis certaine que dès son retour il aimerait vous voir pour se faire pardonner son attitude. Vous savez, c’est pour cela qu’il ne peut pas tenir le magasin quand il a de la fièvre, cela lui est arrivé d’être déplaisant avec l’un ou l’autre client…

– Madame, je suis bien heureux de vous avoir vue, vous me mettez du baume au cœur, je pensais avoir froissé monsieur Marondeau. Nous ne nous connaissons que depuis peu et nous avions sympathisé. Et voilà que, d’un coup, il semblait ne plus vouloir me revoir. Je suis rassuré donc et je passerai prendre des nouvelles de Raymond régulièrement.

– Vous n’allez pas partir comme cela monsieur Hervé, je déteste prendre le thé toute seule et maintenant que je vous tiens, je ne vous lâche pas. Ainsi je pourrai dire à Raymond que vous avez accepté de me tenir compagnie en attendant de pouvoir venir partager une cup of tea avec lui en personne et rétabli.

– Allons, je ne peux pas vous refuser cela, madame. Et ce sera avec plaisir.

– Appelez-moi Laure. Raymond, lui, m’appelle tante Laure. Je vous ai dit que j’étais la cousine de Raymond, ce n’est pas tout à fait vrai. Il n’y a aucun lien de famille entre nous si ce n’est que j’ai été l’amie de son père pendant bien des années. Au décès du papa de Raymond, il ne m’a pas laissée tomber. Alors que je me trouvais sans ressources, il m’a proposé de m’héberger et il est mon seul recours à part ma minuscule pension, ce qu’ils appellent minimum vieillesse. Ah ! Si on obligeait nos politiciens et nos assistantes sociales à vivre avec ce minimum, je pense qu’ils se révolteraient. Alors que nous, les petits vieux comme on dit, nous acceptons tout. C’est ainsi, que voulez-vous ? Prenez place, monsieur Hervé, assoyez-vous, prenez le siège de Raymond.

– Je voudrais vous demander, êtes-vous originaire de Saint-Lambaire ?

– Oui, pas de Saint-Lambaire même, mais de la région, un village du nom de Saint-Bélié enfin un village, c’est devenu la banlieue de Saint-Lambaire.

– Vous avez peut-être connu la famille Leyden…

– Oui, comme tout le monde ici. C’était une riche famille d’armateurs, les sœurs Leyden ont tenu une des meilleures boutiques de Saint-Lambaire et il y a eu le peintre qui est resté célèbre, Artur Leyden. Si vous allez au musée de Saint-Lambaire, il est incontournable, c’est une de nos gloires locales.

– Il a eu une triste fin, parait-il…

– Oui, c’est vrai, cette terrible chute. On a jamais su le fin mot de l’histoire, les mauvaises langues ont parlé de suicide, il y avait des soupçons qui pesaient sur lui, les parents d’une fillette l’ont accusé d’avoir défloré et engrossé leur fille mineure. Ils cherchaient sans doute à extorquer de l’argent à ce pauvre Artur. Il n’aurait pas supporté toute cette fange et il se serait jeté du haut de la falaise. Quoi qu’il en soit, les gendarmes ont conclu qu’il s’agissait d’un accident, il n’y a pas à chercher plus loin…

– Vous avez certainement raison, mais vous savez, les enquêtes de gendarmerie, surtout à l’époque, étaient quelquefois un peu rapides, je n’ai pas dit bâclées, mais sous la pression des autorités, du procureur, même de nos jours cela se voit. Les gendarmes ne peuvent pas être partout, ce sont des hommes comme tout le monde…

– C’est vrai, dit tante Laure en servant le thé, on l’a bien vu en d’autres circonstances. Au bout du compte, cela arrangeait tout le monde, je veux dire toute la bonne société lambairienne, qu’il soit dit que c’était un accident. Pourtant, Artur Leyden était un habitué de la côte et des falaises, il devait en connaître les moindres recoins. Mais la thèse de l’accident ne lavait pas Artur Leyden des soupçons qui pesaient sur lui. Au contraire, les gendarmes ont classé l’affaire mais ils ont aussi classé l’affaire de la jeune fille mineure… avant le décès de celle-ci. Ce qui voulait dire qu’ils considéraient que Leyden coupable, l’action s’éteignait avec son décès. Vous me suivez ?

– Oui, je crois, répond Hervé, vous voilà lancée dans une véritable discussion juridique !

à force de côtoyer Raymond, vous savez. Vous a-t-il dit qu’il est docteur en droit et qu’il a même été avocat pendant quelque temps ?

– Il ne m’en a pas parlé. Et pourquoi a-t-il abandonné la robe ?

– Il n’a jamais eu l’intention de la porter, mais il voulait être libre de ses actions et pouvoir montrer qu’il saurait se défendre, le cas échéant. Très jeune, Raymond avait déjà une inclination particulière…

– Il était homosexuel, résume Hervé.

(à suivre...)

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