– à mon avis, il n’était pas là, pas que je sache en tout cas. Madame Secondat a pris la parole et a parlé du travail de monsieur Estrade sur Artur Leyden.
– Qui est cette dame ? s’écrient en chœur le vieux monsieur et son épouse.
– Madame Secondat, née Antonia Viquerosse, la fille de la cousine d’Artur Leyden.
– Ah ! Vous m’en direz tant, s’exclame le monsieur. Le dragon qui garde l’entrée de la caverne du souvenir d’Artur Leyden ! Elle serait mariée à présent ?
– Oui et elle a deux beaux enfants, ma foi, répond Hervé.
– J’aurais aimé rencontrer monsieur Estrade, je l’avais bien connu du temps où il était conservateur ici. J’ai eu l’occasion de lire ce qu’il a écrit sur Artur Leyden, c’est très intéressant au point de vue artistique, mais il y a quelques approximations biographiques tout de même !
– Vous avez bien connu Artur Leyden ?
– Personnellement, non. Mais j’étais jeune instituteur à l’époque de sa mort. Son corps avait été retrouvé un matin sur des rochers au pied d’une falaise entre Cancale et St-Lambaire, bien des rumeurs ont circulé, on a parlé de suicide, de meurtre… Sous la pression des autorités, les gendarmes et le procureur ont rapidement conclu à un accident. Vous comprenez, un suicide, à l’époque, c’était impensable, rendez vous compte, il n’aurait pu être inhumé religieusement ! Quant à la thèse du crime, cela faisait désordre dans la petite société lambairienne. Cela arrangeait bien les choses que cela soit classé comme accident car cela permettait de classer une autre affaire en cours.
– Vous me paraissez bien au courant !
– Oui, j’ai suivi l’affaire d’assez près à l’époque. J’étais enseignant dans une petite école, à La Brémarde, non loin d’ici.
– Je connais un peu, intervient Hervé.
– Dans ma classe, il y avait un gamin, un gosse de l’assistance placé chez des fermiers du coin. J’avais remarqué ce garçon qui, de prime abord, semblait un peu simplet. En réalité, il était lent mais intelligent. Et très renfermé. Au moment de la mort d’Artur Leyden, mort qui fut suivie de peu par la mort d’une jeune fille qui était la fille des gens chez qui était placé le gamin dont je vous parle, je remarquai qu’Achille – c’était son prénom – Achille donc, était très perturbé. Il s’était mis à parler tout seul, même parfois pendant la classe, ce qui lui valait des moqueries de la part des autres garçons. Il partait en marmonnant et un soir je réussis à l’intercepter avant qu’il ne s’en aille. Ce gamin avait, me semblait-il, quelque peu confiance en moi et je réussis à lui faire dire ce qui le préoccupait tant. Il avait perdu les deux seules personnes pour lesquelles il avait de l’affection : Artur Leyden puis la petite Juliette Veudenne, morte noyée peu après comme je vous l’ai dit. Ce qu’il m’a raconté ensuite m’a fait dresser les cheveux sur la tête. Je ne peux pas vous dire tout ce qu’il m’a dit. Mais je pensais que je pouvais le croire. Les gosses sont capables d’inventer, d’affabuler, certes ! Mais il y a des moments où, avec un peu de sensibilité, on sent les choses et on arrive à démêler le vrai du faux. Ce que disait le gamin était grave et je me sentais dans l’obligation d’en référer à la justice. Que faire ? Je me suis rendu à la gendarmerie, j’ai rencontré un jeune gendarme qui m’a écouté. Il a essayé de prendre l’affaire en main avec un de ses collègues. Il s’est rendu au Bussiau, il a entendu le gamin et il a enquêté un peu plus. Très vite, on lui a donné l’ordre d’abandonner cette affaire et il a été déplacé dans une brigade du département du Nord. L’affaire a donc été classée, le petit Achille a été retiré de chez les Veudenne et a été envoyé dans un foyer du côté de Rennes. Je n’en sais pas plus, mais c’est une histoire qui m’a marqué.
– Ce que le petit Achille vous a raconté était donc si terrible ?
– Oui, répond le vieux monsieur.
– Et le gendarme, vous l’avez revu ?
– Jamais. Je suis retourné à la brigade, j’ai demandé à le voir et c’est ainsi que j’ai su qu’il avait été muté mais on n’a pas voulu me dire où. Je n’ai jamais su rien de plus.
– Et vous en avez parlé à d’autres personnes ?
– J’ai bien essayé d’aborder cette affaire avec mon supérieur direct mais il m’a conseillé d’attendre. Oui, d’attendre… attendre quoi, je vous le demande !
– Et vous avez eu des nouvelles d’Achille ?
– Aucune non plus, il faut dire que nous nous sommes mariés à cette époque et que j’avais demandé un poste sur Le Mans, d’où est originaire mon épouse. Je l’ai obtenu et nous sommes partis nous y installer. Nous ne sommes revenus sur la région que depuis que nous sommes tous les deux à la retraite, cela fait plus de dix ans. Le temps a passé mais je n’ai pas oublié cette histoire et c’est pour cela que je n’ai pas pu m’empêcher de passer par ici en revenant de la messe.
(à suivre...)
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