Oreilles attentives de Guyenne et Gascogne, bonjour. J’aime à partager avec vous certaines de mes lectures, principalement des récits régionaux et des livres écrits par des personnes vivant ou ayant vécu dans le sud-ouest. Une fois encore un roman régional a retenu mon attention, à savoir « Le pain de mémoire » de Jean-Louis Perrier, publié en 1999 chez Albin-Michel.
C’est une chronique villageoise, l’histoire d’une boulangerie sur la période de l’entre-deux guerres et jusqu’à la fin de la seconde. Autant dire que les personnages étaient restés marqués par la sauvagerie de la première guerre et que pour la population du Haut-Quercy, cette période n’a rien à voir avec ce qui a été appelé les années folles. Les paysans vivent rudement sur les causses du Haut-Quercy et, si le boulanger s’en sort assez bien, c’est au prix d’un travail opiniâtre de tous, Félicien le patron boulanger, Amélie son épouse, Giuseppe l’ouvrier italien qui a fui le fascisme mussolinien. Travailler dur n’est pas tout, il y a aussi un savoir-faire dans le travail de la pâte, la chauffe du four, les temps de cuisson… mais aussi le boulanger doit connaître sa farine. Et les blés du causse ne sont pas toujours d’une qualité boulangère suffisante, il faut souvent additionner une dose de farine de ces blés qui viennent de la Beauce pour avoir une belle farine panifiable. Et, si le boulanger vend son pain dans le bourg, il fait aussi les tournées dans la campagne, là où les paysans produisent du blé et font, avec le boulanger, un échange blé/pain. Il faut aussi savoir parler avec ces paysans, négocier et trouver le terrain d’entente. Discussions qui se font en général en patois, la langue quotidienne. Et, suite à cela, il y a toute une comptabilité de cet échange, avec la tenue des petits carnets des clients échangeurs.
Et, dans les acteurs de ce livre, je n’ai pas encore cité les enfants du couple, Rique, l’ainé, et Cyprien qui est le narrateur. Puis naîtra un troisième, René. Cyprien raconte cette histoire car c’est lui qui est appelé à reprendre la boulangerie, Rique étant de constitution plus fragile. Car il faut une sacrée carcasse pour être au four et au pétrin et pour vivre dans la poussière de farine qui s’infiltre dans les poumons. Félicien n’y résistera pas.
On voit donc passer les moments de misère dus à la crise puis les affrontements entre les « croix de feu » et les communistes qui se finiront par le lâche assassinat de Giuseppe. Puis vient la guerre avec son cortège de soumissions et de vexations mais aussi avec ceux qui n’acceptaient pas la domination totalitaire. La vision de l’auteur sur la résistance est un peu simpliste et limitée mais on ne peut la lui reprocher puisqu’il se met au niveau du narrateur.
Pour terminer, je vais parler de ce passage où Félicien donne à une pauvre veuve trois tourtes rassies. Après, Cyprien, encore jeune, demande à son père pourquoi il lui avait donné du pain rassis à cette pauvre femme. Je cite la réponse dans le livre: « c’est à sa demande, me répondit-il sans hésiter. Le pain rassis lui fait plus longtemps. Quand on a huit bouches à nourrir avec une pension de veuve, il vaut mieux que le pain ne soit pas trop savoureux. » Dure leçon mais qui touche ceux qui ont vécu cela.
Et puis, plus pittoresque est le passage où il parle du chambrou, lieu qui « avait dû jadis abriter le cochon que l’on appelait lou téchou, avec une nuance de tendresse comme s’il se fût agi d’un enfant (d’ailleurs on appelait également le plus jeune enfant lou téchou). S’il était tout petit et s’était couronné les genoux en tombant, pour le consoler, on lui disait lou paouvre téchouno, le pauvre petit cochon.Le cochon familial du chambrou de La Martinie était entouré d’une affection qui ne se démentait pas jusques et y compris à l’instant de son égorgement. »
Cric crac, mon histoire est finie et il vaut mieux ne pas en rajouter.
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