Chronique du temps exigu (7)
J’ai fait un rêve absurde… je vivais dans une ville, une
ville agréable avec de grandes et belles avenues, de vastes places agrémentées
de parcs, de jolies rues avec des maisons pimpantes, des venelles typiques et
des passages mystérieux. Puis, autour de la ville, il y avait des faubourgs et
des banlieues laborieuses qui donnaient sur une campagne riante avec des
chemins de traverse.
Cette ville avec son arrière-pays, c’était ma langue
française, la nôtre, avec sa grande syntaxe, sa grammaire touffue, ses mots
pittoresques et son orthographe complexe. Puis, dans les alentours, le jargon
de nos métiers et l’argot populaire. Enfin, les patois des pays et, plus loin
encore, les travers bénins de notre parler quotidien. J’étais dans la patrie
d’Albert Camus, notre langue française.
Et, toujours dans le même rêve, je vis alors arriver le
cauchemar. Je vis venir la langue de la toile, cette langue tapée sur des
claviers borgnes et sans âme. Je me voyais parcourir les mêmes avenues défoncées
d’une syntaxe fracassée, dans de vastes
places remplies d’immondices de la grammaire oubliée, dans des rues aux façades
douteuses de mots incompris et dans des passages souillés des déchets d’une
orthographe perdue. Autour de la ville nulle ordure n’était plus ramassée et un
sabir douteux souillait le pavé luisant de graisse. Des hordes barbares
avaient-elles soudain envahi ma patrie ?
Non, les barbares étaient de notre race, se croyaient de
notre patrie et de notre langue…Je me sentais devenu un étranger dans ma
patrie.
Vous
voyez bien, c’était vraiment un rêve absurde.
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