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jeudi 24 décembre 2015

Le cabot de Fortunio (77)

-          C’est moi qui régale mais tu me racontes d’abord, en gros, l’histoire de la bande à Latik…
-          Ouais, mais j’les connais, au Brelan, si y’a personne, y sont cap’ de baisser le rideau…
-          T’ as raison, c’est pour ça que tu vas me raconter, fissa et en gros, ton histoire. Le résumé me suffit mais en vitesse, j’ai pas confiance au cas où tu deviendrais muet avec une clope au bec…
-          Ooooh oh, tu voudrais pas tout savoir et rien payer, toi ?
-          Je t’ai dit, raconte et on ira se jeter un godet. A force d’hésiter, c’est vrai que le bistro va fermer, c’est dommage, j’ai pas envie de galoper ailleurs.
Willy dodeline un peu du chef. Puis il se lance en essayant de faire rapide. Il a servi de chauffeur et de cuistot dans l’équipe sanglante de Latik. Il y était, sur la dune, là-bas, mais bien planqué. C’est pas lui qui a tiré, il le jure. Et il croyait que la gonzesse, Eliane qu’elle s’appelait, une chouette fille soit dit en passant, il croyait pas qu’elle soit morte. Bon, enfin, ils sont repartis, Lefett, celui qui a été chercher la valise, a été touché, on croyait que c’était pas trop grave mais lui aussi, il y est passé, bon, c’était un peu un fumier ce gars, mais la gonzesse, merde alors… Et mon Willy qui se fout à chialer. Je le prends par l’épaule, il me regarde.
-          Bon, dis-je, et Latik, il est passé où ?
-          Ben, Latik, il était dans l’autre Jeep avec Lefett et Alouari. Moi et Bak on filait avec l’autre, le plus vite possible vers la Mauritanie. On avait rendez-vous à El Baïda, on est arrivés les premiers et quand l’autre Jeep est arrivée, y’avait plus Lefett mais j’en sais pas plus, on est repartis à quatre, on a roulé encore pendant des heures, on est arrivés dans une bourgade, je crois qu’on était au Maroc, y’avait un petit aérodrome, un gars avec un vieux coucou nous a emmenés dans le nord de l’Espagne. Avec Alouari, on a volé une caisse, on a passé la frontière et on a lâché la tire à Bordeaux, on a pris le train tous les trois, Latik a dit qu’il nous rejoindrait plus tard. Et il est pas encore revenu. C’est lui qu’a le fric, bien sûr.
-          Mais à Arcueil, c’est chez Alouari, dis-je.
-          Ouais mais c’est leur quartier général. Latik va plus chez lui, au cas où… bon mais, on y va acheter des clopes ? Ah, ça m’fait du mal de penser à c’te môme Eliane, merde quoi, on devait simplement la relâcher. Mais Latik, au dernier moment, il a dit qu’elle allait parler, qu’il fallait pas la laisser revenir vivante, merde, merde, le con…
-          Allons, lève-toi et marche, on va aller voir si on trouve à fumer.

Il se lève et part d’un bon pas, j’ai presque du mal à le rattraper. Le chagrin lui passe vite à lui. Au bistro, je négocie deux doubles whiskies et deux paquets de Pinston. Willy rouspète que ce n’est pas sa marque mais je lui dis que c’est à prendre ou à laisser car, en moi-même, je me suis rappelé que c’est la marque que fume Eliane. Je lui offre une tige et, après avoir réglé, nous nous asseyons sur la terrasse. Le whiskard rend Willy encore plus loquace. J’apprends donc un tas de choses : il a connu Edkès quand ce dernier donnait des concerts. Willy lui servait de chauffeur, de factotum et de souffre-douleur. Mais il payait bien et on se marrait, sans compter les gonzesses qui tombaient comme des mouches. Puis, après deux CD, sa cote est retombée. Latik n’arrivait pas à se renouveler. Pour Willy, c’était carrément de la merde depuis le début. Mais de la merde qui se vend et qui attire les foules, pourquoi pas ?
(à suivre...)

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