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jeudi 31 mars 2016

Le cabot de Fortunio (91)



Là-dessus, nous arrivons à Gentilly. René se gare non loin de l’hôtel et je monte discrètement récupérer nos affaires. Ensuite, direction Geoffroy-Saint-Hilaire, chez Estelle-Josette. Inutile de passer un coup de grelot puisque j’ai la clé. Même mode opératoire, René me dépose et je monte chez Madame Pertelfisse. A la porte de l’appartement, on entend le violon. Cela me fait supposer que le mari est sur place. Je sonne quand même, sans résultat. J’entre donc et je prends ma valise dans le petit bureau. Une pute de curiosité me pousse à aller voir d’où vient la musique. Je suis un petit couloir, le gars doit jouer dans une chambre. A ce moment, le violon s’arrête et une porte s’ouvre, un gars me regarde, étonné.
-          Monsieur, vous me voyez surpris, me dit-il élégamment.
-          Pardon, vous êtes peut-être étonné, c’est moi qui suis surpris, Littré-je finement.
-          En effet, en effet. Puis-je vous demander ce que vous faites ici, chez moi ?
-          Bien sûr, je suis venu reprendre mes outils que j’avais laissés ici hier soir. Je suis le plombier…
-          Le plombier, en effet ! C’est le ciel qui vous avait envoyé ! Vous avez récupéré votre matériel ?
-          Oui, excusez-moi mais je suis pressé…
-          Mais, votre facture, monsieur ?
-          Non, ce n’est rien, je…
-          Ah si, rendez-vous compte ! Trouver un plombier à Paris, c’est autre chose que de trouver un violoniste ! Et votre travail mérite salaire.
-          Non, je vous assure…
-          Te te te. Je veux vous régler mon dû. Combien vous dois-je ?
-          Si vous y tenez vraiment, alors jouez-moi le Capriccio n° 5 de Paganini, cela me paiera largement de ma peine. Et il n’est pas trop long…
-          Ah, vous êtes comme mon épouse, il faut toujours y aller allegro vivace, con foco ! Eh bien, qu’il en soit ainsi. Suivez-moi.
Nous entrons dans une pièce pleine de partitions, de matériel et d’instruments. Il prend son violon et me joue Paganini.[1] Deux minutes plus tard, je m’éclipse et rejoins mon pote René.
-          Cela fut un peu long. Madame vous aurait-elle retardé ? me demande-t-il.
-          Madame était absente, comme prévu. Mais c’est Monsieur.
-          Ooooooh ! Tu m’en diras tant !
-          Monsieur voulait à tout prix payer la prestation d’hier soir. Devant mon refus, il m’a joué un capriccio de Paganini : un régal !
-          Tu te fais trop payer en nature, ça te perdra. Allez, on fonce : Boulevard de l’hôpital, quai d’Austerlitz et pont de Bercy. Avant le pont, je te dépose, tu traverses le pont à pattes, à un moment tu te penches et tu balances discrètement le flingue du gonze et son portable dans la Seine. Tu continues et je te reprends au bout du pont.
-          Discrètement, sur le pont de Bercy ? Ça va pas, non ?
-          Mon Fortunio, écoute-moi bien : t’as failli merder comme il faut today. Si tu te dégonfles, t’as qu’à conduire, je le ferai, moi. Mais pour une fois, merde, montre que t’es un mec, mon pote !
-          Okay, j’ai compris, c’est bon, je m’y colle. Tu m’fais chier mais j’sais pas c’que j’f’rais sans toi !
-          Tu vois que quand tu veux tu peux !
Il est midi et demie, la circulation est assez fluide, enfin pour Paris. René me dépose, je fais cent mètres et je me penche au-dessus du parapet. Personne aux alentours, je fais semblant de tousser et le matos dégringole dans la flotte. Retour au bout du pont, René est garé comme il peut et je saute en voiture.
On sort de Paris, j’ai un peu - beaucoup - de vague à l’âme de ne pas revoir Éliane.
*

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