Là-dessus, nous arrivons à Gentilly. René se
gare non loin de l’hôtel et je monte discrètement récupérer nos affaires.
Ensuite, direction Geoffroy-Saint-Hilaire, chez Estelle-Josette. Inutile de
passer un coup de grelot puisque j’ai la clé. Même mode opératoire, René me
dépose et je monte chez Madame Pertelfisse. A la porte de l’appartement, on
entend le violon. Cela me fait supposer que le mari est sur place. Je sonne
quand même, sans résultat. J’entre donc et je prends ma valise dans le petit
bureau. Une pute de curiosité me pousse à aller voir d’où vient la musique. Je
suis un petit couloir, le gars doit jouer dans une chambre. A ce moment, le
violon s’arrête et une porte s’ouvre, un gars me regarde, étonné.
-
Monsieur, vous me voyez surpris,
me dit-il élégamment.
-
Pardon, vous êtes peut-être
étonné, c’est moi qui suis surpris, Littré-je finement.
-
En effet, en effet. Puis-je vous
demander ce que vous faites ici, chez moi ?
-
Bien sûr, je suis venu reprendre
mes outils que j’avais laissés ici hier soir. Je suis le plombier…
-
Le plombier, en effet ! C’est
le ciel qui vous avait envoyé ! Vous avez récupéré votre matériel ?
-
Oui, excusez-moi mais je suis
pressé…
-
Mais, votre facture, monsieur ?
-
Non, ce n’est rien, je…
-
Ah si, rendez-vous compte !
Trouver un plombier à Paris, c’est autre chose que de trouver un violoniste !
Et votre travail mérite salaire.
-
Non, je vous assure…
-
Te te te. Je veux vous régler mon
dû. Combien vous dois-je ?
-
Si vous y tenez vraiment, alors
jouez-moi le Capriccio n° 5 de Paganini, cela me paiera largement de ma peine.
Et il n’est pas trop long…
-
Ah, vous êtes comme mon épouse, il
faut toujours y aller allegro vivace, con foco ! Eh bien, qu’il en soit
ainsi. Suivez-moi.
Nous entrons dans une pièce pleine de
partitions, de matériel et d’instruments. Il prend son violon et me joue
Paganini.[1] Deux
minutes plus tard, je m’éclipse et rejoins mon pote René.
-
Cela fut un peu long. Madame vous
aurait-elle retardé ? me demande-t-il.
-
Madame était absente, comme prévu.
Mais c’est Monsieur.
-
Ooooooh ! Tu m’en diras tant !
-
Monsieur voulait à tout prix payer
la prestation d’hier soir. Devant mon refus, il m’a joué un capriccio de
Paganini : un régal !
-
Tu te fais trop payer en nature,
ça te perdra. Allez, on fonce : Boulevard de l’hôpital, quai d’Austerlitz
et pont de Bercy. Avant le pont, je te dépose, tu traverses le pont à pattes, à
un moment tu te penches et tu balances discrètement le flingue du gonze et son
portable dans la Seine. Tu continues et je te reprends au bout du pont.
-
Discrètement, sur le pont de Bercy ?
Ça va pas, non ?
-
Mon Fortunio, écoute-moi bien :
t’as failli merder comme il faut today. Si tu te dégonfles, t’as qu’à conduire,
je le ferai, moi. Mais pour une fois, merde, montre que t’es un mec, mon pote !
-
Okay, j’ai compris, c’est bon, je
m’y colle. Tu m’fais chier mais j’sais pas c’que j’f’rais sans toi !
-
Tu vois que quand tu veux tu peux !
Il est midi et demie, la circulation est
assez fluide, enfin pour Paris. René me dépose, je fais cent mètres et je me
penche au-dessus du parapet. Personne aux alentours, je fais semblant de
tousser et le matos dégringole dans la flotte. Retour au bout du pont, René est
garé comme il peut et je saute en voiture.
On sort de Paris, j’ai un peu - beaucoup - de vague à l’âme
de ne pas revoir Éliane.
*
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