Chroniques de Serres et d’ailleurs. (39)

Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « La roue tourne, mon bon monsieur ». Ainsi parlait Sara Toussetra, buraliste et commentatrice infatigable de l’actualité. En effet la roue tourne, me hasardai-je à surenchérir, mais dans quel sens à votre avis ? C’est tout simple, me répondit-elle, elle tourne dans le sens de la pente. Une telle simplicité de raisonnement me laissa pantois et, après avoir acheté mon hebdomadaire favori, je sortis dans la rue où je tombai inopinément sur mon ami le Professeur Papillon. Aussitôt, je lui fis part de ma perplexité rotationnelle. Il ne fut guère pris au dépourvu puisqu’après avoir arrêté sa carrière de chercheur, il a entamé depuis quelques années une activité de découvreur ou, si vous préférez, de trouveur.

-          Donc, me dit ce dernier, votre dame Sara a bien raison car c’est la force de Coriolis qui nous permet de constater de visu que la roue de la fortune tourne toujours dans le sens où elle penche. Et vous constaterez qu’elle penche toujours du côté des plus riches, à savoir dans le sens des aiguilles d’une montre. Une Rolex © de préférence et par exemple. Mais savez-vous si les montres tournent toujours dans le même sens ? Et pourquoi ? Dit-il en voyant ma moue dubitative et en poursuivant derechef et de bonne humeur. Oui, en effet les montres tournent toujours dans le même sens, celui de la rotation de l’ombre sur le cadran solaire. Et la preuve que c’est vrai c’est qu’il y a l’exception qui confirme la règle, à savoir que le trente octobre de cette année à trois heures, votre horloge tournera dans le sens antihorlogique pendant quelques secondes pour se mettre à deux heures, après quoi elle reprendra sa rotation horlogique normale.

-          Horlogique ? Demandé-je.

-          C’est ainsi que l’on dit en Belgique et on peut leur faire confiance pour ces cas de rotation car c’est un belge qui a inventé le poêlon carré qui empêche le lait de tourner. Continuons sur notre lancée, j’ai commencé à vous parler de la force de Coriolis et il serait dommage de ne pas évoquer le curieux phénomène de la rotation de l’eau qui s’écoule par la bonde d’un évier. Comme vous le savez, l’eau en s’écoulant prend une rotation dextrogyre assez caractéristique, comme un petit tourbillon. Mais uniquement dans nos régions dites de l’hémisphère nord. Car il en va tout autrement dans l’hémisphère sud où l’eau s’écoule à la bonde selon une rotation sénestrogyre. Et le cas le plus intéressant est le moment du passage sur la ligne de l’équateur. Vous êtes en bateau, encore dans l’hémisphère nord. Vous commencez à vider votre lavabo juste avant que le bateau passe la ligne et l’eau tourne de gauche à droite. Au moment du franchissement de la ligne, ce mouvement s’arrête, il ne s’écoule plus qu’un mince filet d’eau, on entend un léger rot à la fin puis l’eau se met de nouveau à couler en prenant un sens de rotation dextrogyre. C’est à cela que vous constatez que vous vous trouvez dans l’hémisphère sud et vous pouvez donc déboucher une bouteille bien fraîche.

-          Et cela serait donc dû à cette force dite de Coriolis ?

-          Si l’on veut. En réalité, disons qu’en passant la ligne équatoriale, vous passez aux antipodes et on ne peut pas traiter les habitants de ces régions d’antipodistes car il faudrait pour ce faire qu’ils vous marchent sous les pieds. Et cela n’est pas le cas. Disons tout simplement qu’ils regardent le siphon de l’évier ou du lavabo de l’autre côté du trou et voient donc la rotation dans le sens inverse au nôtre. Mais la rotation est toujours la même néanmoins. C’est seulement le point de vue de l’observateur qui change.

-          Et ce léger rot ? Demandé-je.

-          Simple effet de surprise : essayez-donc de boire en faisant tourner la boisson dans un sens et puis dans l’autre. Vous m’en direz des nouvelles !

On voit par-là qu’il faut savoir boire cul-sec.