Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. J’aurais voulu, dès aujourd’hui, parler de
l’air qui me semblait plus pur depuis la veille au soir mais on m’a conseillé
de n’en rien faire. Parler de l’air pur pousse à lever le nez vers le ciel et
les yeux aussi. Alors qu’il vaudrait mieux porter les yeux là où l’on marche
car l’on risque encore de mettre le pied dedans. Nous nous poserons plutôt des
questions sur les intervalles.
A
l’école, quand la maîtresse disait : « Ernest a fait une clôture avec
dix piquets distants de trois mètres. Quelle est la longueur de la
clôture ? » Même s’il y avait toujours un bon élève pour donner la
bonne réponse après un bref temps de réflexion, un grand nombre d’entre nous se
précipitait pour répondre : « trente mètres, m’dame ». Et
nous ignorions qu’au-delà de notre erreur la maîtresse nous posait une question
térébrante, analogue au paradoxe d’Achille et de la tortue. En effet, Zénon
d’Elée posait cette aporie : Achille
et la tortue doivent parcourir le même chemin, et la tortue part la première. Au
moment où Achille prend son départ il doit parcourir au moins le trajet déjà
effectué par la tortue pour la rattraper ; mais arrivé à ce point la
tortue aura eu le temps d’avancer d’une certaine longueur, et le problème se
pose à nouveau dans les mêmes termes et ainsi de suite à l’infini.
En
effet, deux piquets et un seul intervalle… trois piquets et deux intervalles
(et non pas des interveaux sauf dans le cas où l’on décrit les espaces séparant
de très jeunes bovins), quatre piquets et trois intervalles et ainsi de suite
jusqu’à nous prouver que la clôture d’Ernest mesure vingt-sept mètres… Mais on
constate que si dans le cas des deux piquets, les piquets sont deux fois plus
nombreux que l’intervalle, ce rapport va décroissant alors que croît le nombre
de piquets. Où va-t-on ainsi ? Le nombre d’intervalles croissant avec le
nombre de piquets, se trouvera-t-il un jour où les intervalles auront rattrapé
les piquets ? Admettons qu’un piquet trébuche et il se trouvera – qui
sait ?- un jour où les intervalles dépasseront les piquets. En nombre,
comme il se doit. Jusqu’à ce jour, les piquets ont tenu bon mais un accident
est si vite arrivé.
De
nos jours, la sécurité n’a jamais été aussi grande et il y a peu de chances
pour qu’un tel accident survienne. Mais le calendrier maya, garant d’une
certaine insécurité, aurait prévu la fin du monde au cas où les intervalles en
auraient marre de leur statut d’éternels seconds et dépasseraient en nombre celui
des piquets.
On
voit par-là que plus la fin du monde approche, moins elle s’éloigne et que
l’intervalle de temps qui nous en sépare devient de moins en moins grand au fur
et à mesure qu’il s’amenuise.
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