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jeudi 13 octobre 2016

René-la-Science (19)



— Là, je vous mettrais à égalité, un point partout la balle au centre. Certes tu l’as fait cocu, mais il t’en a collé deux qui t’ont laissé sur le carreau, luis dis-je.
— D’accord, mais les fois précédentes, il n’était pas là, j’avais des points d’avance, rétorqua-t-il en se marrant.
— Bon, il se fait tard, mais termine ton histoire, je ne voudrais pas rester sur ma faim. Et sers-moi un godet, je sèche.
Michel me servit et continua son histoire. Après le décès de Gaby, il passa par une période de déprime. Il continuait à soigner les moutons, mais il se sentait « amputé de la tête ». Car le Gaby n’était peut-être pas un intello, mais il savait ce qu’il voulait et ce qu’il n’avait pas dans la tête, il l’avait dans les mains, disait-il. Michel quitta le lycée et passa son temps entre la maison et le bois de Montieu. Sa mère le fit émanciper à dix-huit ans. Ils touchèrent une petite somme de la sécurité sociale et Michel obtint son permis et s’acheta une voiture. Emeline voulut vendre la maison, elle disait qu’elle ne pouvait y rester car elle lui rappelait trop Gaby. Mais Michel ne voulut pas, il demanda à sa mère d’attendre car il avait hérité le bois de Montieu que Gaby possédait en bien propre et il voulait terminer le logement attenant à la bergerie pour y habiter. Emeline accepta donc que Michel garde la maison, mais qu’il lui paye un demi-loyer pour lui permettre à elle de trouver un appartement sur Clézeau ou sur Villeneuve. Quelques temps après, elle rencontra un homme de Rodez, avec qui elle se remaria. Michel continuait à lui payer un loyer symbolique. Mais sa mère ayant eu une petite fille, il ne pouvait plus se considérer comme seul héritier et il souhaitait avoir assez d’argent pour racheter la maison à sa mère. Il pensait toujours au magot du Gaby.
Michel ne voulait pas se prendre un travail régulier, il se fit immatriculer à la Mutualité Agricole et faisait la semaine ce que son père faisait le dimanche, des petits boulots à droite et à gauche. Il rencontra Magali, une rencontre improbable comme celle de la carpe et du lapin. Mais elle vint habiter chez lui et sa maison devint un peu le repaire de la fumette locale et de la marginalité militante. Mais Michel se défendit bec et ongles chaque fois que d’aucuns lui parlaient d’implanter des cultures particulières sur le bois de Montieu. Il commençait d’ailleurs à se lasser sérieusement de tous les barbus et autres chevelus de la mouvance post-soixante-huitarde. Ce qui lui valut des lazzis de la part de Magali qui le traita de « bourge ». Et c’est à cette époque que Michel rencontra un jour Sylvie à la fête à Villeneuve. Au début, il se dit que c’était une bonne occase pour faire porter des cornes au fils de l’ennemi juré de son père. Et que je danse un peu avec elle, et que j’te frotte, on part faire un tour en bagnole et on te fait ça dans les bois. Et on garde le contact et on se
retrouve de temps en temps, furtivement. Mais là, il oublia la vengeance, Michel, il se sentit devenir amoureux pour de bon. Et il se dit que la couverture dans les bois ou les sièges de la R5, ça ne valait pas un bon lit. Or au Blédard, il y avait cela ! Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maître: le cocu intervint et il y eut même un spectateur « engagé », à savoir moi.

Donc, maintenant je savais presque tout sur la famille Hupart, un peu sur la famille Fauchet. Je voulus quand même savoir ce qui me valut toutes ces confidences. Car dans ce qu’il m’avait raconté, il y avait quand même certaines choses qui ont du faire se retourner le Gaby dans sa tombe, lui qui se voulait discret…
Et c’est là que Michel attaqua :
— Tu vois, si je te raconte tout cela, c’est parce que je sens que je peux te faire confiance. Il avait raison, mon vieux, il me faut quelqu’un pour m’aider. Et je veux que cela soit toi, il faut que tu m’aides.
— Et on remet cent balles dans le bourrin ! Mais j’ai du boulot, moi, je ne suis que de passage dans ton coin.
— Le magot, peut-être que tu t’en fous au fond. Mais je suis sûr que t’as envie de venir voir sur place, le tunnel…
— T’es pas con toi, tu sais toujours me prendre par le bon bout. Allez, ressers moi un coup, on vide nos godets et je viens voir ton chantier demain si tu veux.
— C’est vrai ? Tu es d’accord ? Tu acceptes ? Martèle Michel.
— Pas si vite, mais je suis curieux et je veux voir avant de parler.
— Attention, mon pote, la simple curiosité peut se payer cher, on est dans le sérieux toi et moi.
Encore une fois, je fus surpris par le changement de ton, mais encore une fois, je le mis sur le compte de la fatigue et du rouge. Je me levai, donnant le signal du départ, on se donna rendez-vous pour le lendemain matin à Clézeau, Michel paiera le café au bistrot.
(à suivre...)

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