( remerciements à Nathalie Barth )
Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. J’ai fait un rêve absurde… je vivais dans
une ville, une ville agréable avec de grandes et belles avenues, de vastes
places agrémentées de parcs, de jolies rues avec des maisons pimpantes, des
venelles typiques et des passages mystérieux. Puis, autour de la ville, il y
avait des faubourgs et des banlieues laborieuses qui donnaient sur une campagne
riante avec des chemins de traverse.
Cette
ville avec son arrière-pays, c’était ma langue française, la nôtre, avec sa
grande syntaxe, sa grammaire touffue, ses mots pittoresques et son orthographe
complexe. Puis, dans les alentours, le jargon de nos métiers et l’argot
populaire. Enfin, les patois des pays et, plus loin encore, les travers bénins
de notre parler quotidien. J’étais dans la patrie d’Albert Camus, notre langue
française. Et dans le pays de Claude Duneton, l’homme du parler croquant mais
du parler juste et fleuri.
Et,
toujours dans le même rêve, je vis alors arriver le cauchemar. Je vis venir la
langue de la toile, cette langue tapée sur des claviers borgnes et sans âme. Je
me voyais parcourir les mêmes avenues défoncées d’une syntaxe fracassée, dans de vastes places remplies d’immondices
de la grammaire oubliée, dans des rues aux façades douteuses de mots incompris
et dans des passages souillés des déchets d’une orthographe perdue. Autour de
la ville nulle ordure n’était plus ramassée et un sabir douteux souillait le
pavé luisant de graisse. Des hordes barbares avaient-elles soudain envahi ma
patrie ?
Non,
les barbares étaient de notre race, se croyaient de notre patrie et de notre
langue…Je me sentais devenu un étranger dans ma patrie.
Vous
voyez bien, c’était vraiment un rêve absurde.
Et
en me réveillant, je me posai alors une question : l’humour a-t-il un
prix ? Réponse : plus aucun maintenant que les émoticônes sont
gratuites.
Dans
un roman de Huxley, il y a un personnage qui se ferait pendre plutôt que de se
priver d’un bon mot. C’était une autre époque, celle où vous pouviez vous faire
virer du collège pour mauvais esprit… et ceci est un simple exemple.
Imaginons
une conversation. Vous êtes gourmandé par un gendarme sous l’œil d’un
passant :
- Monsieur, dit le pandore, vous avez
commis une infraction, je vais vous enlever un point.
- Quoi, répondez-vous, vous voulez
prendre mon point ?
- Monsieur, vous dit-il en retour,
vous me menacez ?
Vous
pensez avoir fait de l’humour. Le passant, observateur plus ou moins neutre, y
a vu de l’ironie. Quant au représentant de l’ordre, il y verra dans le meilleur
des cas du persiflage et dans le pire, une menace. Vous avez courageusement
bravé l’autorité en risquant de vous faire accuser de rébellion.
Aujourd’hui,
vous ne risquez plus rien. Allez donc voir sur le vèbe. D’après
l’Institut Périamétri, plus de soixante-dix pour cent des phrases échangées
dans les forums de discussion finissent par ce bizarre assemblage appelé émoticône
formé du deux points – tiret sous le six – fermeture de parenthèse, aussi
appelé « smiley ».
D’après Médiapétri, on passerait même les quatre-vingt pour cent !
De fait, bien des émetteurs de messages qui ne comprennent pas leur propre
message, se satisfont de ce petit drapeau pour dire : « c’était pour
rire ». Et bien d’autres agitent ce drapeau au cas où il y aurait de
l’humour dans ce qu’ils ont écrit. Et je n’ai pas encore parlé de l’expression
« Lol », d’origine douteuse quoiqu’anglo-saxonne (à moins que cela ne
soit le contraire ?) que d’aucuns traduisent par « mort de
rire ». De nos jours, il y a plus de gens qui ressuscitent après ce genre
de décès que d’individus qui trépassent. L’humour, comme le crime, ne paie
plus.
On
voit par-là que quand l’humour n’a pas de prix, il est aussi sans valeur.
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