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dimanche 23 octobre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II (5)

( remerciements à Nathalie Barth )
Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. J’ai fait un rêve absurde… je vivais dans une ville, une ville agréable avec de grandes et belles avenues, de vastes places agrémentées de parcs, de jolies rues avec des maisons pimpantes, des venelles typiques et des passages mystérieux. Puis, autour de la ville, il y avait des faubourgs et des banlieues laborieuses qui donnaient sur une campagne riante avec des chemins de traverse.
Cette ville avec son arrière-pays, c’était ma langue française, la nôtre, avec sa grande syntaxe, sa grammaire touffue, ses mots pittoresques et son orthographe complexe. Puis, dans les alentours, le jargon de nos métiers et l’argot populaire. Enfin, les patois des pays et, plus loin encore, les travers bénins de notre parler quotidien. J’étais dans la patrie d’Albert Camus, notre langue française. Et dans le pays de Claude Duneton, l’homme du parler croquant mais du parler juste et fleuri.
Et, toujours dans le même rêve, je vis alors arriver le cauchemar. Je vis venir la langue de la toile, cette langue tapée sur des claviers borgnes et sans âme. Je me voyais parcourir les mêmes avenues défoncées d’une syntaxe fracassée,  dans de vastes places remplies d’immondices de la grammaire oubliée, dans des rues aux façades douteuses de mots incompris et dans des passages souillés des déchets d’une orthographe perdue. Autour de la ville nulle ordure n’était plus ramassée et un sabir douteux souillait le pavé luisant de graisse. Des hordes barbares avaient-elles soudain envahi ma patrie ?
Non, les barbares étaient de notre race, se croyaient de notre patrie et de notre langue…Je me sentais devenu un étranger dans ma patrie.
Vous voyez bien, c’était vraiment un rêve absurde.
Et en me réveillant, je me posai alors une question : l’humour a-t-il un prix ? Réponse : plus aucun maintenant que les émoticônes sont gratuites.
Dans un roman de Huxley, il y a un personnage qui se ferait pendre plutôt que de se priver d’un bon mot. C’était une autre époque, celle où vous pouviez vous faire virer du collège pour mauvais esprit… et ceci est un simple exemple.
Imaginons une conversation. Vous êtes gourmandé par un gendarme sous l’œil d’un passant :
-      Monsieur, dit le pandore, vous avez commis une infraction, je vais vous enlever un point.
-      Quoi, répondez-vous, vous voulez prendre mon point ?
-      Monsieur, vous dit-il en retour, vous me menacez ?
Vous pensez avoir fait de l’humour. Le passant, observateur plus ou moins neutre, y a vu de l’ironie. Quant au représentant de l’ordre, il y verra dans le meilleur des cas du persiflage et dans le pire, une menace. Vous avez courageusement bravé l’autorité en risquant de vous faire accuser de rébellion.
Aujourd’hui, vous ne risquez plus rien. Allez donc voir sur le vèbe. D’après l’Institut Périamétri, plus de soixante-dix pour cent des phrases échangées dans les forums de discussion finissent par ce bizarre assemblage appelé émoticône formé du deux points – tiret sous le six – fermeture de parenthèse, aussi appelé « smiley ».  D’après Médiapétri, on passerait même les quatre-vingt pour cent ! De fait, bien des émetteurs de messages qui ne comprennent pas leur propre message, se satisfont de ce petit drapeau pour dire : «  c’était pour rire ». Et bien d’autres agitent ce drapeau au cas où il y aurait de l’humour dans ce qu’ils ont écrit. Et je n’ai pas encore parlé de l’expression « Lol », d’origine douteuse quoiqu’anglo-saxonne (à moins que cela ne soit le contraire ?) que d’aucuns traduisent par « mort de rire ». De nos jours, il y a plus de gens qui ressuscitent après ce genre de décès que d’individus qui trépassent. L’humour, comme le crime, ne paie plus.
On voit par-là que quand l’humour n’a pas de prix, il est aussi sans valeur.

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