Et il raconta tout, les
cantines, les allemands, les résistants, son froc, le mutisme, le Siméon etc.
Et le Gaby lui dit : « maintenant que j’ai quelqu’un avec moi, je vais enfin
pouvoir m’attaquer à ce tunnel. Tu es mon associé à partir de ce jour ! ». Là,
Michel s’était senti aussi fier que s’il avait été adoubé chevalier. Et le Gaby
se mit à tirer des plans pour dégager l’entrée du tunnel. Car il fallait
creuser, mais aussi étayer à mesure pour maintenir les terres en place. On ne
savait pas sur quelle longueur le tunnel s’était effondré après l’explosion
provoquée par les maquisards. Mais le Gaby se sentit revigoré par le fait de
s’être trouvé un associé, un complice. Et ils commencèrent à approvisionner discrètement
ce qui leur était nécessaire. Gaby put prendre deux semaines de congés au mois
d’août et ils se rendirent régulièrement à Montieu. Ils installèrent des bottes
de paille, soi-disant pour les brebis, dans le but de camoufler l’entrée du
tunnel. Et ils se mirent à creuser, à étayer, à évacuer de la terre et des
gravats. Le Gaby n’était, comme on le sait, pas feignant et le gamin était motivé
par ses nouvelles responsabilités. A quinze ans, maintenant, il savait pousser
la brouette et faire passer les étançons, clouer les planches et passer les
outils. Son père était son dieu et le bois de Montieu son Paradis. Après les
quinze jours, Gaby reprit le travail. Le chantier fut fort bien dissimulé, on y
reviendrait plus tard car il ne fut pas question que Michel aille seul dans le
tunnel à cause du danger. Et il fallait rester discret. La vie continuait et on
ne parlait pas de cela à la maison, devant la mère ou devant qui que ce soit
d’autre. Michel reprit l’école, il aidait parfois son père le dimanche à faire
des bricoles à droite et à gauche. Mais on attendait une période de plusieurs
jours pour écarter la paille et reprendre le chantier. Entretemps, Gaby avait
obtenu une autorisation pour construire une bergerie avec un petit logement,
les travaux justifieraient une présence fréquente et des déplacements de
matériaux. Les périodes de vacances scolaires permettraient de continuer le
chantier « tunnel ». La progression se révéla ardue, la terre argileuse et
collante qui enveloppait les pierres et les gravats ne se laissait pas travailler
facilement et les risques d’éboulements obligèrent à étayer fréquemment, ce qui
rendait pénible la circulation avec la brouette. Mais le père et le fils
étaient soudés dans un rêve commun, ni les embûches ni la fatigue ne les
rebutaient. A dix-sept ans, Michel était au lycée car Gaby voulait que son fils
fît suffisamment d’études, contrairement à lui-même qui avait toujours été plus
buissonnier qu’assidu. Car il faut bien savoir que le Gaby était plutôt dans le
genre feignant révolté. Il avait fait du travail une sorte d’idée fixe
pour arriver à son trésor enfoui. Un jour que Michel était au lycée à
Villeneuve de Sciérac, il fut appelé en urgence : son père avait fait une chute
grave, il était tombé d’un chêne qu’il élaguait et avait été transporté à
l’hôpital local. Emeline vint le prendre pour aller voir le père. Ils
arrivèrent aux soins intensifs où ils apprirent que Gaby était dans le coma et
qu’il n’y avait plus que peu d’espoir. Ils purent entrer le voir, mais Emeline,
choquée, ne put rester dans la salle de soins. Michel resta quelques instants
seul et Gaby sortit brièvement de son coma, il reconnut Michel et, lui faisant
signe de se pencher vers lui, il lui murmura : « je crois que c’est foutu pour
moi, fils. Tu continueras, mais tu devras trouver un gars pour t’aider. Je sais
pas comment, mais le magot, y s’ra pour toi maintenant. Mais méfie-toi du
Siméon et de sa foutue famille, méfie toi aussi du Marco et du Pepito. Je t’aimais,
mon fils ». Et il ne put en dire plus. Il resta ainsi près d’une semaine dans
le coma, transporté à Toulouse, puis ramené à Villeneuve. C’est là qu’il
mourut. Il y eut du monde pour la sépulture, Gaby avait travaillé un peu
partout et finalement il était apprécié, malgré qu’il passât pour original. A
la sortie du cimetière, Emeline et son fils serraient les mains. Quand
passèrent le Siméon et son fils Roger, ils étaient un peu empruntés, ne sachant
si le fils allait serrer des mains sur lesquelles le père aurait craché.
Emeline, qui n’était au courant de rien, leur serra la main en toute innocence.
Michel avait appris de son père la manière de se faire discret, il se fendit
d’un petit sourire douloureux mais amical à leur égard et serra les mains qu’on
lui tendait. Il n’en pensa pas moins que rirait bien qui rirait le dernier. Et
c’est à ce moment que Michel me dit qu’il avait déjà un peu ri à leurs dépens
puisque le Roger Fauchet, fils du Siméon n’était autre que le cocu qui lui
avait boxé le nez la nuit précédente.
(à suivre...)
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