Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Un train peut en cacher un autre… cette
phrase lapidaire a fait rêver bien des gens arrêtés à un passage à niveau. En
effet, un train normalement en retard sur l’horaire peut en cacher un autre qui
arriverait sournoisement à l’heure. Le piéton (ou le cycliste) qui traverse le
passage à niveau n’imagine pas qu’un train puisse arriver à l’heure, ce dernier
étant de plus obligé de se cacher derrière un autre pour ne pas se faire voir.
Le retard
des trains est une source inépuisable de découvertes culturelles pour qui a la
chance de s’y pencher. Comme dans le film de Kieslowski « Le
hasard », on sait très bien qu’une vie peut totalement être changée pour
un simple train en retard, en réalité différemment la même mais là est toute la
magie ferroviaire de faire croire que tout peut changer là où tout se suit et
se ressemble, là où il faut que tout change pour que rien ne change. Un train
qui arrive à l’heure, c’est tout le rêve de tous les possibles qui s’écroule ;
un train qui arrive à l’heure, c’est la routine de la vie qui nous reprend à la
gorge ; un train qui arrive à l’heure et c’est le retour à la grisaille du
quotidien. Et nous ne parlerons pas des grèves car on sait bien que la grève est
à notre compagnie ferroviaire ce que l’or est à la finance, une valeur refuge.
C’est l’étalon selon lequel on mesure la valeur du service rendu.
Vous
est-il arrivé d'être dans un train quand tout à coup des haut-parleurs situés
on ne sait où dans le wagon se mettent à éructer une annonce bruyante et
incompréhensible ? Après un coup d’œil à votre montre, vous supposez que
l’on vous apprend que votre train aura du retard sur l’horaire annoncé, que le
président de la société ferroviaire viendra en personne vous tenir la main pour
prendre votre correspondance et qu’une agréable collation sera servie en
compensation du préjudice subi. Légère déception, seule la première de ces
suppositions se révèlera exacte.
J’ai eu
la chance dernièrement de voyager au côté d’un sémiologue érudit qui a
longuement analysé ces éructations ferroviaires et qui a fait une découverte
étonnante. Ces messages que nous entendons dans les trains ne sont nullement en
langue française ni en une autre langue en usage dans nos pays occidentaux. Il
s’agit en fait d’une langue hiéroglyphique non écrite et uniquement émise par
ce que l’on appellera une voix. Cette langue n’est pratiquée que par des
locuteurs ignorant la signification de ce qu’ils disent mais ayant bien la
sensation d’avoir une parole imagée autant que sensée.
On voit par-là
que les agents du chemin de fer ne diffèrent guère, sur ce point précis, du
commun des mortels.
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