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dimanche 25 décembre 2016

Chronique de Serres et d’ailleurs II 15



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Le propre des majorités silencieuses est de se taire pour ne rien dire. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a personne pour dire tout haut ce que les majorités silencieuses pourraient penser tout bas. Car il n’y a rien de plus simple que de parler à la place de ceux qui se taisent, cela permet à ces derniers de continuer à ne rien dire et à ceux qui parlent de redire tout haut ce qu’ils avaient déjà dit tout haut mais en leur nom propre sans que nul n’ait eu envie de les écouter.
Mais si une majorité est silencieuse, elle n’en pense pas plus pour autant. Cela se remarque lorsque cette majorité sort de son silence : c’est bien souvent pour dire des inepties. Rappelons qu’une sottise dite d’une seule voix fluette est toujours une sottise alors qu’une ineptie dite avec force par plusieurs personnes passera pour une idée originale et forte si elle arrive à faire suffisamment de bruit.
Mais foin de ces mutiques soi-disant majoritaires et voyons qui sont ceux qui pensent pouvoir parler en leur nom. Les premiers sont les instituts de sondage qui, par des questions tendancieuses ou orientées, déclarent avoir obtenu l’opinion d’un échantillon représentatif de la population. Qu’est-ce donc qu’un échantillon représentatif ? Ce sont des gugusses judicieusement choisis dans diverses couches de la population, des gugusses plutôt à droite et d’autres plutôt à gauche ou au centre, des salariés, des chômeurs, des patrons petits ou grands et éventuellement quelque raton-laveur, de préférence un peu benêt, il ne faudrait pas qu’il dépare l’ensemble. Et cet échantillon représentatif, ce sont des gugusses qui, gratuitement ou pour quelques sesterces, font faire du gras aux instituts de sondages. Car ces gugusses sont le fumier dont les statisticiens ont besoin pour faire pousser leurs feuilles de sondages et pour obtenir de grasses rémunérations en buvant à la santé du c.., pardon de celui qui paie. Mais s’il n’y avait plus de gugusses pour se faire sonder, y aurait-il encore des sondages ? Je sais bien que nombreux sont ceux qui aiment se faire administrer la sonde mais en cas d’abstinence de leur part, on peut toujours compter sur la créativité mathématique des statisticiens pour attribuer des opinions imaginaires à une population hors-sol qu’ils créeraient en laboratoire.
Ensuite, les seconds sont ces politiciens de toutes farines qui préfèrent attribuer aux autres leurs idées plutôt que de dire que ce sont leurs opinions et qu’ils les défendront même s’ils sont les seuls à penser ainsi. Lorsque Créon disait à Antigone : Σὑ τοῦτο μούνη τῶνδε Καδμείων ὁρᾶς. (Tu es seule, à Thèbes, à penser de la sorte), Antigone lui répondait : Ορῶσι χοὖτοι, σοι δ’ὑπíλλουσιν στόμα. (Ils pensent comme moi mais ils se mordent les lèvres.) Par ces mots, Antigone assume sa manière de penser. Et Créon parle en faisant ne pas penser une majorité qui n’est silencieuse que parce qu’elle ferme sa gueule, ce qui est une manière insidieuse de dire qu’Antigone ne représente qu’elle-même alors que lui pense tout haut ce que les autres ne pensent pas tout bas.
On voit par-là qu’en tyrannie comme en démocratie il vaut mieux avoir tort à plusieurs que raison tout seul.

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