Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Le
propre des majorités silencieuses est de se taire pour ne rien dire. Mais ce
n’est pas pour autant qu’il n’y a personne pour dire tout haut ce que les
majorités silencieuses pourraient penser tout bas. Car il n’y a rien de plus
simple que de parler à la place de ceux qui se taisent, cela permet à ces
derniers de continuer à ne rien dire et à ceux qui parlent de redire tout haut
ce qu’ils avaient déjà dit tout haut mais en leur nom propre sans que nul n’ait
eu envie de les écouter.
Mais
si une majorité est silencieuse, elle n’en pense pas plus pour autant. Cela se
remarque lorsque cette majorité sort de son silence : c’est bien souvent
pour dire des inepties. Rappelons qu’une sottise dite d’une seule voix fluette
est toujours une sottise alors qu’une ineptie dite avec force par plusieurs
personnes passera pour une idée originale et forte si elle arrive à faire
suffisamment de bruit.
Mais
foin de ces mutiques soi-disant majoritaires et voyons qui sont ceux qui
pensent pouvoir parler en leur nom. Les premiers sont les instituts de sondage
qui, par des questions tendancieuses ou orientées, déclarent avoir obtenu
l’opinion d’un échantillon représentatif
de la population. Qu’est-ce donc qu’un échantillon
représentatif ? Ce sont des gugusses judicieusement choisis dans
diverses couches de la population, des gugusses plutôt à droite et d’autres
plutôt à gauche ou au centre, des salariés, des chômeurs, des patrons petits ou
grands et éventuellement quelque raton-laveur, de préférence un peu benêt, il
ne faudrait pas qu’il dépare l’ensemble. Et cet échantillon représentatif, ce
sont des gugusses qui, gratuitement ou pour quelques sesterces, font faire du
gras aux instituts de sondages. Car ces gugusses sont le fumier dont les
statisticiens ont besoin pour faire pousser leurs feuilles de sondages et pour
obtenir de grasses rémunérations en buvant à la santé du c.., pardon de celui qui
paie. Mais s’il n’y avait plus de gugusses pour se faire sonder, y aurait-il
encore des sondages ? Je sais bien que nombreux sont ceux qui aiment se
faire administrer la sonde mais en cas d’abstinence de leur part, on peut
toujours compter sur la créativité mathématique
des statisticiens pour attribuer des opinions imaginaires à une population
hors-sol qu’ils créeraient en laboratoire.
Ensuite,
les seconds sont ces politiciens de toutes farines qui préfèrent attribuer aux
autres leurs idées plutôt que de dire que ce sont leurs opinions et qu’ils les
défendront même s’ils sont les seuls à penser ainsi. Lorsque Créon disait à
Antigone : Σὑ τοῦτο μούνη τῶνδε Καδμείων
ὁρᾶς. (Tu es seule, à Thèbes, à penser de la sorte), Antigone lui répondait :
Ορῶσι χοὖτοι, σοι δ’ὑπíλλουσιν στόμα. (Ils
pensent comme moi mais ils se mordent les lèvres.) Par ces mots, Antigone
assume sa manière de penser. Et Créon parle en faisant ne pas penser une majorité qui n’est silencieuse que parce qu’elle
ferme sa gueule, ce qui est une manière insidieuse de dire qu’Antigone ne
représente qu’elle-même alors que lui pense tout haut ce que les autres ne
pensent pas tout bas.
On
voit par-là qu’en tyrannie comme en démocratie il vaut mieux avoir tort à
plusieurs que raison tout seul.
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