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dimanche 22 janvier 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 19



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Je vais prendre mon souffle avant de vous citer deux phrases du début du roman Soumission de Michel Houellebecq. « (…), je compris qu’une partie de ma vie venait de s’achever, et que c’était probablement la meilleure. Tel est le cas, dans nos sociétés encore occidentales et social-démocrates, pour tous ceux qui terminent leurs études, mais la plupart n’en prennent pas, ou pas immédiatement conscience, hypnotisés qu’ils sont pas le désir d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus primitifs, ceux qui ont développé l’addiction la plus violente à certains produits (ils sont une minorité, la plupart, plus réfléchis et plus posés, développant une fascination simple pour l’argent, ce « Protée infatigable »), hypnotisés plus encore par le désir de faire leurs preuves, de se tailler une place sociale enviable dans un monde qu’ils imaginent et espèrent compétitif, galvanisés qu’ils sont par l’adoration d’icônes variables : sportifs, créateurs de mode ou de portails Internet, acteurs et modèles. » Sans être un admirateur éperdu des romans de Houellebecq, celui que je viens de citer m’a paru digne d’intérêt, d’une part pour cette phrase qui m’a laissé pantois et d’autre part pour le sujet du roman. L’auteur décrit une France assez proche de la nôtre où le système politique s’effondre doucement, sans soubresaut et sans vraie révolution et il y est question d’un certain regard sur notre société vieillissante.
C’est le deuxième roman de Houellebecq que je lis, j’avais déjà lu La carte et le territoire qui m’avait déplu. Soumission m’a bien accroché mais je ne suis pas certain d’avoir lu dans ce livre ce que l’auteur a voulu y mettre. Dans ces deux romans, Houellebecq décrit une classe moyenne supérieure dont il semble faire, sinon l’élément essentiel de notre pays, tout au moins la quintessence de notre société. Et ce qu’il décrit superbement, c’est de quelle manière une telle classe moyenne se fait l’instrument de la contre-réforme, de la contre révolution, et en définitive de la soumission à un ordre établi pourvu que cette classe conserve son confort et ses petits ou grands privilèges. Plus sûrement que la police, l’armée ou quel qu’autre Big Brother, cette classe pèse de tout son poids pour défendre sa position, quelles que soient la société, la morale ou la religion au pouvoir. Dans ce roman, le pouvoir tombe dans les mains d’un président musulman modéré, parvenu à se faire élire face à l’extrême droite avec le soutien, en désespoir de cause, des partis PS et UMP. Et petit à petit, ces classes moyennes supérieures se laissent glisser vers une collaboration avec ce président, toujours officiellement laïc et républicain, mais qui teinte de sa religion toutes les régions du pouvoir.
Ce que dépeint très bien Houellebecq, c’est ce collaborationnisme des bourgeois qui est la base de toute société dont l’autorité est fondée sur l’argent ou sur la religion ou sur les deux à la fois. C’est en cela aussi qu’il présente les choses, volens nolens, comme une analyse marxiste : chez lui les classes dominées sont tout simplement absentes, elles n’existent pas car elles sont ignorées des classes dominantes. Comme l’écrit La Boétie dans le traité de la servitude volontaire : « C’est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. (…) Car à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude ? » . Dans ce roman « Soumission », le tyran n’est autre que celui qui représente la religion mais dans notre société capitaliste, le tyran est le discours scientifique, technique et marchand qui a corrompu, hypnotisé et asservi la classe bourgeoise. Et Houellebecq en est le porte-voix.
On voit par-là qu’il n’y a pas que chez les riches qu’il y a de la misère.

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