Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Aujourd’hui je vais vous parler d’un livre
qui m’est cher car je l’ai lu il y a plus de cinquante ans et, chaque fois que
je passe par ce coin de Périgord dont il parle, je ne peux m’empêcher de penser
à « Pontcarral » d’Albéric Cahuet. Voilà ce qu’écrit Albéric Cahuet
au début de son livre. « Dans la petite histoire d’une vallée on peut
retrouver la grande histoire tourmentée d’un pays, comme l’on voit une goutte
d’eau refléter un monde. »
Alors,
qui était donc ce Pierre Pontcarral ? Le fils d’un habile colporteur lui-même
un enfant trouvé sur la commune de Cénac, au bord d’un ruisseau, au lieu-dit
Pontcarral, le pont aux charrettes, d’où on lui donna ce patronyme. Le fils du
colporteur, fasciné par les images et les fascicules vendus par son père devint
très tôt un enfant intelligent et son père put le faire instruire par un maître
à tout apprendre qui s’attacha à ce gosse au point, bien plus tard, d’en faire
son héritier. En 1804, le colporteur mourut et en 1805, avec l’avènement de
l’Empire et le début de la campagne d’Autriche, le jeune Pontcarral s’engagea.
Il vécut des années fulgurantes et une ascension rapide au grade de colonel
après avoir accompli moult exploits en dix ans de guerre. Puis, après Waterloo,
le voilà contraint de vivre en coupable faussement pardonné et constamment
guetté, ne pouvant même plus habiter le petit domaine de Fondaumier que son
père, après une vie d’économies, lui avait légué. Rebelle et paria sous la
Restauration, il se trouve un jour assiégé dans la grange d’un hôtel de Sarlat
par toute une troupe de gendarmes, de dragons et de gardes nationaux. Monté sur
son cheval, il ouvrira brutalement le portail d’un large coup de sabre et,
torse nu pour ne pas donner prise à ses assiégeants, il bousculera ses
assaillants déconfits. Il ira se réfugier dans l’hôtel particulier d’un autre
grand sabreur de l’Empire, le général Fournier-Sarlovèze. Le face à face entre
les deux hommes est sévère, l’un fidèle à ses engagements et l’autre passé au
service de la royauté. Mais ce dernier accueillera quand même son ancien
compagnon d’armes pour lui permettre d’émigrer aux Amériques.
En 1821,
sa proscription fut abolie. Il put revenir chez lui mais assigné à résidence et
sans solde. On le voyait passer, sombre et solitaire, superbe de désespoir. Et
c’est en 1828 que le roman de sa vie commença. Il fit éviter, sur un chemin
dangereux, un accident à la jeune Sybille de Ransac. Celle-ci lui demandera de
lui apprendre à monter un cheval correctement. Haï par la noblesse locale,
Pontcarral sera quand même reçu à Ransac par le vieux marquis qui lui donna son
amitié. De fil en aiguille, ou si l’on
préfère de cravache en étrier, Pontcarral sera amené à faire la connaissance de
Garlone, veuve et sœur ainée de Sybille.
Toujours sous l’hostilité de la noblesse locale, ils se marièrent mais vécurent
sous les sombres nuages de l’incompréhension jusqu’au moment de l’avènement de
la monarchie de juillet où Pontcarral retrouva son grade de colonel puis fut
nommé général. Mais Garlone était restée amoureuse d’un ancien amant qu’elle
aidera financièrement. Ce qui devait arriver arriva, Pontcarral provoqua l’amant
en duel et le tua. Le couple mit de la distance, Pontcarral à Paris et Garlone
à Bade mais cette fois, c’est Pontcarral qui tomba amoureux de Sybille.
Comprenant qu’il ne supporterait pas une telle situation et refusant de céder à
toute tentation, il partit avec son escadron pour l’armée d’Algérie. Il ne
reparut jamais en France et mourra courageusement en chargeant à la tête de la
cavalerie. Son corps fut inhumé en Algérie.
Albéric
Cahuet conclura : « Et c’est parce qu’il fut unique, parce qu’il
fut exception, parce que sa présence posthume reste si forte dans les lieux de
sa disgrâce, de sa misère, de son amour, que sa mémoire illustre cette terre de
rocs abrupts, de ceps tourmentés, de taillis noirs. »
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