Auditrices
et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. La vie à la campagne n’a pas toujours été
une sinécure mais avec le progrès elle devient plus moderne et plus
bureaucratique. Prenons un exemple, les vaches ne parlent plus de revenir à
l’étable après avoir pataugé par le clot mais elles se flattent d’entrer dans
une stabulation en passant par le pédiluve. Le progrès ne se voit pas seulement
mais aussi il s’entend. Et il en va ainsi de moult autres mots et expressions
qui se sont soit scientifisés soit américanisés. On ne parle plus que de
cornadis, de caillebottis, de round baller
et de pickups. Sans oublier tous les navrants acronymes imposés par
l’administration de l’agriculture, la PAC, la PMTVA et autres abréviations
jargonnisantes.
Mais là
où on voit bien cette évolution progressiste à l’œuvre, c’est dans la manière
de nommer les opérateurs professionnels, pour parler comme les messieurs des
ministères. Avant, on parlait de paysans. Mais que ce terme est vulgaire, ont
pensé certains, et ils ont proposé de les nommer agriculteurs. C’était encore
trop simple et on en est venu à dire « exploitants agricoles ». Ah
que les choses dites ainsi sont belles et judicieuses ! Donc, depuis les
petits culs-terreux aux deux vaches, quatre chèvres et quelques petits arpents
de maigre terre jusqu’au propriétaire-châtelain sur des milliers d’hectares,
tous sont des exploitants agricoles. Quelle adroite démocratie
langagière ! Bien sûr, il y a encore un syndicat paysan mais qui n’intéresse
nullement les experts et les spécialistes des ministères et des administrations
car ce syndicat ne représente que de vrais petits paysans et il n’est guère
avide de grasses prébendes comme d’autres syndicats agricoles toujours prêts à
se faire câliner financièrement par l’Etat et par les grandes firmes
agroalimentaires toujours soucieuses de faire le jeu d’un corporatisme étroit
qui profite toujours aux mêmes.
Donc,
maintenant, le paysan est devenu un chef d’entreprise, il a un numéro Siret, un
numéro d’établissement, un code NAF, un numéro de TVA Intracommunautaire, j’en
passe et non des moindres. Chaque tête de bétail est estampillée, numérotée et
répertoriée plus que ne pourrait l’être un humain lambda. Ce qui n’empêche pas
la circulation des épidémies, des virus et autres réjouissances. Ce qui n’empêche
pas plus certaines organisations mafieuses de faire du trafic et certains
importateurs indélicats de vendre du cheval de réforme pour du bœuf à lasagnes.
Mais c’est bien à cela qu’on voit que le progrès fait rage.
Mais que
l’on se rassure, le nouveau ministre de l’agriculture est un radical de gauche
et du Cantal, avocat de formation, sénateur, fils de sénateur et père d’assistant
parlementaire de sénateur : c’est dire si dans la famille cela sénate
radicalement. Ce farouche défenseur de la laïcité saura défendre le bœuf français
contre la tentation du halal, à chacun son métier et les vaches seront bien
gardées.
Alors,
monsieur le Ministre, si vous pouvez faire quelque chose pour les paysans, ces
manants et ces croquants dont bon nombre sombrent parfois dans le désespoir,
faites-le avant que les grossiums de l’agroalimentaire, l’administration et
autres CETA – TAFTA ne les fassent disparaître à tout jamais. N’ayez pas peur
de marcher dans la boue et de visiter des étables avec de la paille et du
fumier. N’ayez pas peur non plus d’aider les paysans à se débarrasser des
produits et des lois toxiques qui empoisonnent tant le paysan que le
consommateur.
On verra
par-là qu’on ne fait pas de bonne nourriture sans bonne volonté.
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