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dimanche 25 juin 2017

Chronique de Serres et d’ailleurs II 41



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. « En quittant son vaisseau, aux voiles fatiguées dans les mers, Ulysse revint riche d’espace et de temps » (Ossip Mandelstam).
De retour à Ithaque, Ulysse a certainement ramené bien des motifs de satisfaction à Pénélope pour agrémenter son interminable tapisserie : il a rencontré la nymphe Calypso, la princesse Nausicaa, la magicienne Circé, il a affronté le chant des sirènes et le Cyclope. Grâce à son intelligence rusée, sa métis, il s’est sorti des situations les plus difficiles et les plus scabreuses. Il en a vu des choses et si ses voiles sont fatiguées sa ruse est toujours en éveil.
De nos jours, il faudrait être Ulysse pour arpenter nos routes, qu’elles soient vicinales, communales, départementales ou nationales car de mystérieux quoique subtils hiéroglyphes apparaissent au sol, auxquels le commun des mortels n’y entrave que pouic : des cercles, des carrés, des flèches, des cercles fléchés, des cercles yin et yang ou avec des croix, des ovales, des ankhs, j’en passe car les mots me manquent. Le plus étonnant est de pouvoir, parfois, admirer les hiératiques scribes fluogiletés qui pratiquent cette cabalistique routière : les avez-vous vus, l’air important, sanglés dans leurs gilets, la bombe BTP au bout des doigts ? Dans les meilleures occasions, ils sont surmontés d’un casque dit de chantier, de couleur rien moins que discrète. Ils vont souvent par deux, par trois, flanqués de chefs de toutes sortes. D’abord il y a le chef, le vrai, le seul, le pur mais il est rare qu’il participe à ce genre de réjouissances. Ensuite, la chefferie se décline suivant nombre de possibilités : il y a les sous-chefs, les chefs-adjoints et les cadres intermédiaires. On les remarque au fait qu’ils ont toujours un peu de recul sur le groupe afin de pouvoir garder le geste ample et la parole altière. Ensuite, il y a les entre-chefs qui sont à la chefferie ce que le jambon est au sandouiche. Puis les contre-chefs qui sont à la maîtrise ce que le contre-ténor est à la musique, une voix flûtée sous les nuages. Et tous ces cadors, l’air grave et l’œil vers le bitume, discourent entre eux jusqu’à ce que, soudain, celui qui est équipé de la bombe fluotante tende un bras impérieux et scriptural afin de délivrer son abscons message sur le goudron qui n’en peut mais.
Alors, pour nous qui ne sommes en rien des Champollion et qui ne savons rien de ces savants idéogrammes, il ne nous reste plus qu’à mélancoliquement supputer sur ces mystérieux signifiants. Car ces inscriptions ne sont pas forcément suivies d’effets visibles, de travaux routiers ou de pose de mobilier urbain. En fait, tout se passe comme si des bureaux d’études venaient réaliser ces graffiti techniques afin d’annoncer des réalisations possibles, probables mais putatives. Cela fait plaisir aux élus, cela rassure et intrigue la population et surtout cela rassérène le commentateur qui voit par-là que l’argent public n’est pas dépensé en vain.

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