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dimanche 27 août 2017

Six semaines à bord du Jamaïca (8)



8. Altamira et Houston. Du 20 au 25 octobre.
Bien fatigués hier soir, nous avons toutefois eu bien du mal à nous endormir : les grues et leurs projecteurs, les conteneurs et le déchargement pendant toute la nuit du cargo vraquier Nord Trust - deux grues qui plongent une grosse pince à six branches comme des pétales d’une tulipe géante dans le ventre du cargo pour en sortir du minerai de fer – tournent toute la nuit. Une fois pleines, les pinces sont amenées sur une trémie qui dirige le minerai dans la benne d’une semi-remorque. Chaque fois que la pince s’ouvre, c’est un fracas d’éboulement sans compter un nuage roussâtre qui entoure le camion. Deux grues, deux pinces et cela toute la nuit… métallo-caco-phonie en fer majeur ! Le départ du Jamaïca se fait un peu avant huit heures et il sort rapidement du port, rejoignant les calmes flots bleus du golfe
Notre vaisseau arrive au large d’Altamira, le pilote devait venir à 22 heures et nous devions accoster à minuit. J’ai cru un moment que nous allions sauter l’étape mais il n’en est rien : nous voilà réduits à des supputations et, comme le disent les vieux loups de mer : c’est pas parce que tu supputes que t’es sur un banc de maquereaux. Au moment du breakfast, le capitaine est sur place et nous dit que l’accès au port n’est pas possible par gros temps et qu’il appellera le port à huit heures. Quelquefois l’attente peut durer un jour. Nous sommes à l’ancre. La houle est assez forte et le bateau est secoué. La mer à bâbord semble couverte d’une nappe de pétrole. Je n’ose penser à du dégazage mais nous sommes à proximité d’une plateforme pétrolière. Le navire étant à l’arrêt, je parlerai de la décoration intérieure du cargo. Ce n’est pas parce qu’on est dans la marine marchande qu’on se passe de tout ornement pour les cabines et les couloirs. Notre cabine est agrémentée de trois reproductions de tableaux de Claude Monet, bien encadrées. Notre couloir, qui est au niveau G, est décoré de tableaux de Kandinsky. Le couloir du niveau F est orné de trois peintures florales  et le niveau E est l’étage Diego Rivera, peintre mexicain compagnon de Frida Kahlo et ami de Trotsky pendant son exil mexicain. Le D est plus dans le style Warhol avec des images de mystique consumériste. Le niveau C, étage récréatif et sportif, possède trois reproductions de pastiches : La Joconde avec la tête de Donald Duck, une peinture académique où Picsou trône en majesté et une affiche de l’Ange Bleu où Daisy Duck remplace Marlène Dietrich. Le niveau A, celui de la restauration, ne jouit pas de décoration dans le couloir mais dans le mess des officiers, il y a deux natures mortes alimentaires et deux autres moins comestibles. Pour ce que j’ai pu voir du mess de l’équipage, on est un peu plus dans la peinture naïve.
Vers 19.30 heures, enfin, le cargo repart en direction du port d’Altamira. Fausse joie, un nouvel arrêt à 20 heures.
Le bateau lèvera l’ancre à 8.45 heures pour entrer à Altamira. Nous avons atteint le point le plus à l’ouest de notre périple, Veracruz était notre point extrême sud. Nous avons la possibilité d’assister à l’arrivée des pilotes et de faire une vidéo assez réussie de leur montée à bord. Le port d’Altamira est une vaste zone portuaire loin de toute ville et nous décidons d’aller jusqu’à Tampico, la ville la plus importante de l’Etat du Tamaulipas. Le taxi recommandé par l’agent portuaire nous coûte une fortune mais l’argent est fait pour circuler, gringos… Notre chauffeur nous dépose sur la Plaza de Armas, juste en face d’un kiosque d’information touristique où une dame nous dit qu’un bus touristique fera une tournée à 15.30 heures. Nous avons bien le temps d’aller manger et elle nous conduit jusqu’à un restaurant bien local où nous mangeons d’excellentes enchiladas garnies avec des morceaux de viande grillée et de sauces à la crème ou à l’houmous ou pimentées. Il faut se méfier des sauces pimentées car ici, ce qui est piquant ne fait pas semblant de l’être. Le tout arrosé d’une boisson citronnée qui donne envie de boire. Donc un très bon repas avant de prendre l’autocar touristique. Ce bus, un ancien bus avec des banquettes en bois et des mains courantes en cuivre, nous emmène avec fracas dans la circulation intense, brouillonne et bon enfant de la ville. Nous suivons des rues où l’habitat est hétéroclite, les maisons en état alternent avec des maisons inhabitées et lézardées ; certaines maisons paraissent à l’abandon mais y en regardant bien on constate que des constructions nouvelles viennent se greffer dessus ; les trottoirs sont souvent défoncés, certaines rues plus encore et on voit qu’un orage les a détrempées. Le bus s’arrête en face d’une halle en béton récente où il y a un marché. Nous y faisons un tour mais la plupart des échoppes sont fermées et les autres manquent un peu de vitalité. Nous retournons au bus qui maintenant longe la lagune de Tampico. Il s’arrête en bordure d’une mangrove où nous pouvons voir évoluer des iguanes puis un peu plus loin des tortues amphibies. De temps en temps une hôtesse donne des explications dans le micro et, en alternance, elle nous sert une musique assez bruyante. On nous redépose sur la Plaza de Armas et, en ce samedi après-midi, il y a du monde. Nous faisons un tour en ville à la recherche d’un marché aux fruits et légumes. Mais ici les marchés ici n’ont pas l’ambiance et la qualité de ce que nous avions trouvé à Veracruz. La Plaza de la Libertad est une grande place avec un kiosque où des musiciens sont à l’œuvre. De retour sur la Plaza de Armas, nous entrons dans la cathédrale de Tampico. Un mariage a lieu, nous ne nous y éternisons pas. Cette cathédrale a été bâtie entre 1841 et 1872 dans un style néoclassique et postcolonial. La décoration picturale est très belle, dans une grande variété de couleurs vives. Sur la place, devant un kiosque rose en forme de poulpe, des jeunes ont installé un grand tapis sur lequel ils font un petit spectacle de danse hip-hop.
Le bateau quitte le port à 3 heures et nous arrivons au matin à Houston, on peut voir des bateaux presque à tous les points de l’horizon. Ce sont des tankers près des plateformes pétrolières. L’arrivée jusqu’au port est très longue, nous en repartons dans la nuit.
Le lendemain, nous allons sur l’avant du bateau voir les poissons volants, avec l’espoir de voir des dauphins. Le troisième officier nous a dit en avoir vu hier au moment de l’entrée dans le port. Je n’en verrai pas malgré une scrutation attentive mais le plaisir est aussi de prendre l’air - le vent même - à la proue du navire tant que le soleil n’est pas encore trop ardent. Nous sommes accompagnés par des oiseaux pêcheurs qui attrapent les poissons volants en plongeant brutalement dans l’eau. Il y a dans les coursives un endroit, peut-être le seul sur tout le bateau, où l’on n’entend que le chant des vagues. J’essayerai d’y faire un enregistrement. Car, que ce soit dans les cabines, au mess, sur les ponts ou partout ailleurs, il y a toujours du bruit : le bruit du moteur, le bruit des compresseurs des conteneurs frigorifiques, les vibrations, le bruit du vent et la soufflerie de la climatisation.

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