8. Altamira et Houston.
Du 20 au 25 octobre.
Bien
fatigués hier soir, nous avons toutefois eu bien du mal à nous endormir :
les grues et leurs projecteurs, les conteneurs et le déchargement pendant toute
la nuit du cargo vraquier Nord Trust - deux grues qui plongent une grosse pince
à six branches comme des pétales d’une tulipe géante dans le ventre du cargo
pour en sortir du minerai de fer – tournent toute la nuit. Une fois pleines,
les pinces sont amenées sur une trémie qui dirige le minerai dans la benne
d’une semi-remorque. Chaque fois que la pince s’ouvre, c’est un fracas
d’éboulement sans compter un nuage roussâtre qui entoure le camion. Deux grues,
deux pinces et cela toute la nuit… métallo-caco-phonie en fer majeur ! Le
départ du Jamaïca se fait un peu avant huit heures et il sort rapidement du
port, rejoignant les calmes flots bleus du golfe
Notre
vaisseau arrive au large d’Altamira, le pilote devait venir à 22 heures et nous
devions accoster à minuit. J’ai cru un moment que nous allions sauter l’étape
mais il n’en est rien : nous voilà réduits à des supputations et, comme le
disent les vieux loups de mer : c’est pas parce que tu supputes que t’es
sur un banc de maquereaux. Au moment du breakfast, le capitaine est sur place
et nous dit que l’accès au port n’est pas possible par gros temps et qu’il
appellera le port à huit heures. Quelquefois l’attente peut durer un jour. Nous
sommes à l’ancre. La houle est assez forte et le bateau est secoué. La mer à
bâbord semble couverte d’une nappe de pétrole. Je n’ose penser à du dégazage
mais nous sommes à proximité d’une plateforme pétrolière. Le navire étant à
l’arrêt, je parlerai de la décoration intérieure du cargo. Ce n’est pas parce
qu’on est dans la marine marchande qu’on se passe de tout ornement pour les
cabines et les couloirs. Notre cabine est agrémentée de trois reproductions de
tableaux de Claude Monet, bien encadrées. Notre couloir, qui est au niveau G,
est décoré de tableaux de Kandinsky. Le couloir du niveau F est orné de trois
peintures florales et le niveau E est
l’étage Diego Rivera, peintre mexicain compagnon de Frida Kahlo et ami de
Trotsky pendant son exil mexicain. Le D est plus dans le style Warhol avec des
images de mystique consumériste. Le niveau C, étage récréatif et sportif,
possède trois reproductions de pastiches : La Joconde avec la tête de
Donald Duck, une peinture académique où Picsou trône en majesté et une affiche
de l’Ange Bleu où Daisy Duck remplace Marlène Dietrich. Le niveau A, celui de
la restauration, ne jouit pas de décoration dans le couloir mais dans le mess
des officiers, il y a deux natures mortes alimentaires et deux autres moins
comestibles. Pour ce que j’ai pu voir du mess de l’équipage, on est un peu plus
dans la peinture naïve.
Vers
19.30 heures, enfin, le cargo repart en direction du port d’Altamira. Fausse
joie, un nouvel arrêt à 20 heures.
Le bateau lèvera l’ancre à 8.45 heures
pour entrer à Altamira. Nous avons atteint le point le plus à l’ouest de notre
périple, Veracruz était notre point extrême sud. Nous avons la possibilité
d’assister à l’arrivée des pilotes et de faire une vidéo assez réussie de leur
montée à bord. Le port d’Altamira est une vaste zone portuaire loin de toute ville
et nous décidons d’aller jusqu’à Tampico, la ville la plus importante de l’Etat
du Tamaulipas. Le taxi recommandé par l’agent portuaire nous coûte une fortune
mais l’argent est fait pour circuler, gringos…
Notre chauffeur nous dépose sur la Plaza
de Armas, juste en face d’un kiosque d’information touristique où une dame
nous dit qu’un bus touristique fera une tournée à 15.30 heures. Nous avons bien
le temps d’aller manger et elle nous conduit jusqu’à un restaurant bien local
où nous mangeons d’excellentes enchiladas
garnies avec des morceaux de viande grillée et de sauces à la crème ou à
l’houmous ou pimentées. Il faut se méfier des sauces pimentées car ici, ce qui
est piquant ne fait pas semblant de l’être. Le tout arrosé d’une boisson
citronnée qui donne envie de boire. Donc un très bon repas avant de prendre
l’autocar touristique. Ce bus, un ancien bus avec des banquettes en bois et des
mains courantes en cuivre, nous emmène avec fracas dans la circulation intense,
brouillonne et bon enfant de la ville. Nous suivons des rues où l’habitat est
hétéroclite, les maisons en état alternent avec des maisons inhabitées et
lézardées ; certaines maisons paraissent à l’abandon mais y en regardant
bien on constate que des constructions nouvelles viennent se greffer
dessus ; les trottoirs sont souvent défoncés, certaines rues plus encore
et on voit qu’un orage les a détrempées. Le bus s’arrête en face d’une halle en
béton récente où il y a un marché. Nous y faisons un tour mais la plupart des
échoppes sont fermées et les autres manquent un peu de vitalité. Nous
retournons au bus qui maintenant longe la lagune de Tampico. Il s’arrête en
bordure d’une mangrove où nous pouvons voir évoluer des iguanes puis un peu
plus loin des tortues amphibies. De temps en temps une hôtesse donne des
explications dans le micro et, en alternance, elle nous sert une musique assez
bruyante. On nous redépose sur la Plaza
de Armas et, en ce samedi après-midi, il y a du monde. Nous faisons un tour
en ville à la recherche d’un marché aux fruits et légumes. Mais ici les marchés
ici n’ont pas l’ambiance et la qualité de ce que nous avions trouvé à Veracruz.
La Plaza de la Libertad est une
grande place avec un kiosque où des musiciens sont à l’œuvre. De retour sur la
Plaza de Armas, nous entrons dans la cathédrale de Tampico. Un mariage a lieu,
nous ne nous y éternisons pas. Cette cathédrale a été bâtie entre 1841 et 1872
dans un style néoclassique et postcolonial. La décoration picturale est très
belle, dans une grande variété de couleurs vives. Sur la place, devant un
kiosque rose en forme de poulpe, des jeunes ont installé un grand tapis sur
lequel ils font un petit spectacle de danse hip-hop.
Le
bateau quitte le port à 3 heures et nous arrivons au matin à Houston, on peut
voir des bateaux presque à tous les points de l’horizon. Ce sont des tankers
près des plateformes pétrolières. L’arrivée jusqu’au port est très longue, nous
en repartons dans la nuit.
Le
lendemain, nous allons sur l’avant du bateau voir les poissons volants, avec
l’espoir de voir des dauphins. Le troisième officier nous a dit en avoir vu
hier au moment de l’entrée dans le port. Je n’en verrai pas malgré une
scrutation attentive mais le plaisir est aussi de prendre l’air - le vent même
- à la proue du navire tant que le soleil n’est pas encore trop ardent. Nous
sommes accompagnés par des oiseaux pêcheurs qui attrapent les poissons volants
en plongeant brutalement dans l’eau. Il y a dans les coursives un endroit,
peut-être le seul sur tout le bateau, où l’on n’entend que le chant des vagues.
J’essayerai d’y faire un enregistrement. Car, que ce soit dans les cabines, au
mess, sur les ponts ou partout ailleurs, il y a toujours du bruit : le
bruit du moteur, le bruit des compresseurs des conteneurs frigorifiques, les
vibrations, le bruit du vent et la soufflerie de la climatisation.
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