Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Il y a peu, il a été question de Jacques Sadoul, écrivain, anthologiste et directeur de collection, décédé en 2013. Il habitait à Fals et a écrit, parmi bien d’autres choses, une suite fantastique dont une partie de l’action se situe dans cette région astaffortaise qui lui était chère. Je vais vous en citer un extrait : « Sans doute connaissez-vous les coteaux gascons qui bordent la vallée de la Garonne, enserrant ses multiples beautés d’un paysage plus austère. Ses antiques routes romaines courent de crête en crête, indifférentes aux régions qu’elles traversent. L’étranger n’emprunte que contraint et forcé ces voies d’un autre âge et seuls quelques passionnés d’histoire ancienne ou d’archéologie s’y aventurent parfois. Il est un lieu cependant que le voyageur, même au soir d’une longue étape, préfère éviter. Là le Gers sinueux poursuit son cours tranquille dans des méandres paresseux ; là, coteaux de l’Armagnac et plaine agenaise se confondent. D’aucuns croient trouver l’explication de ce phénomène dans l’atmosphère lourde et orageuse qui y stagne en tous moments. L’air y semble plus dense que partout ailleurs, comme chargé d’effluves électriques, mais, en dépit de cet orage latent qui alourdit les membres et excite les nerfs, la pluie ne tombe jamais et la terre craquelée n’est pas sans évoquer un paysage lunaire. Entre les coteaux de F., les méandres du Gers et le village d’A., s’étend le domaine de R., celui-là même où dès le haut Moyen Age se livrèrent, dit-on, tant de sacrilèges sorcelleries. Dans le pays, on évite d’en parler, on se dérobe aux questions des curieux. »
Vous aurez reconnu ces deux dernières phrases et
toute cette citation est issue de la trilogie de Jacques Sadoul intitulée ‘Le
domaine de R. », ce passage étant extrait du premier tome, intitulé
« La passion selon Satan », le second étant « Le jardin de la
licorne » et le troisième « Les Hautes Terres du rêve ». Tout
un programme pour une trilogie féerique
ciselée par un orfèvre du fantastique. En effet, Jacques Sadoul, originaire
d’Agen et ensuite fixé à Fals habitait cette merveilleuse petite commune qui
s’accroche sur les collines surplombant le Gers avant qu’il n’aille se jetter
dans la Garonne. Petite commune magique ou miraculeuse pour avoir eu comme
habitant un écrivain aussi inspiré que Sadoul dont l’imagination féconde a
plongé les lieux dans le légendaire et le fabuleux. En 2013, je me trouvais un
soir dans une vieille demeure isolée et déserte du Quercy où des fantômes
irréels m’assaillaient de leurs apparitions maléfiques lorsque son livre
apparut entre mes mains moites et tremblantes. Je dus m’y plonger sans
m’arrêter, passant la nuit dans un long couloir glacé et patibulaire, à la lueur
d’une maigre ampoule menaçant à tout instant de rendre l’âme. A cinq heures du
matin, je m’en revins chez moi, transi mais ébloui, épuisé mais pris d’une
fièvre hallucinée. Je me jetai sur mon lit, dormant d’un étourdissement proche
du coma. Je passai la journée suivante comme l’ombre d’un mort-vivant. La nuit
d’après je dormis d’un sommeil de plomb et, au matin, je me retrouvai dès
potron-jacquet à Cuq, au pied de l’église, pour suivre la randonnée qui passe
sous les mythiques frondaisons du domaine de R. Je ne voulais pas perdre une
bouffée de l’atmosphère qui régnait en ces lieux. Furtif promeneur, j’ignorais
que Jacques Sadoul vivait ses derniers instants dans ce domaine, j’aurais tant
aimé le rencontrer, nous nous serions salués comme si nous attendions depuis
toujours ce moment.
On voit par-là que de belles rencontres
tiendraient à peu de chose.
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