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dimanche 29 avril 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (31)



Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. Je vous livre l’extrait d’une lettre que j’ai écrite à un collègue romancier en amical soutien.
Cher ami, je ne sais si vous vous souvenez de moi : nous nous sommes vus sur divers salons du livre et je vous admire pour la constance de votre production et pour sa qualité d’écriture. Toutefois, je ne suis pas particulièrement attiré par le polar régional que vous pratiquez mais j’ai au moins lu deux de vos livres. Pour moi, le modèle du polar régional est « gentillet », trop éloigné du roman noir et trop stéréotypé. Mais ce n’est que mon opinion. Et parfois il faut se laisser surprendre quand ce polar s’aventure dans des territoires imprévus, inattendus.
Certains journaux régionaux vous ont fait l’honneur de leur une et, lecteur épisodique de cette presse, je me suis rapidement plongé dans la lecture de cette information. Bien sûr, qui de nous ne rêve d’occuper la une des journaux et surtout la tête de gondole des grandes ou petites librairies ? Mais au-delà du coup médiatique, il est fait état d’insinuations à votre égard que tout romancier peut craindre, à savoir être accusé d’avoir puisé dans le vivier naturel autour de lui des poissons plus ou moins gros quoique plus ou moins floutés. Ces poissons croient se reconnaitre dans votre filet mais n’accepteront jamais d’être dépeints tels que vous les voyez pas plus que tels qu’ils se voient. Ils ont la rage de Caliban qui, une première fois, reconnaît sa face (horrible) dans un miroir et, une autre fois dans un miroir déformant, ne reconnaît plus sa face, toujours horrible mais qui n’est point la sienne. Chez ces gens se voyant comme normaux, il y a le souci de leur propre image, incorrigible immaturité de l’homme selon Kundera. Ils se considèrent en fait comme le canon ou le standard de la normalité, la norme c’est moi pourraient-ils dire. Pour avoir travaillé plus de quinze ans avec des travailleurs handicapés, j’ai eu la possibilité de comprendre que ces derniers ne sont guère différents des gens qui se disent normaux. Chez eux, il y a parfois de la sottise, de la déficience, de la maladie ou des troubles psychologiques mais ces symptômes se font connaître, ils les reconnaissent et les pratiquent dans une certaine innocence. Chez les gens dits normaux, non étiquetés par la psychiatrie, ces troubles ou ces déficiences font partie de leur personnalité, personnalité qu’ils ne voudraient ni amender ni réparer car en quelque sorte ils en sont fiers, avec la majesté du chien qui se soulage en se considérant comme le mètre-étalon de l’univers.
Mais alors, que ne pratiquent-ils leur sotte personnalité dans l’intimité et qu’ont-ils à afficher ainsi leur balourde individualité au vu et au su de tous, au risque de déclencher l’obturateur du romancier, observateur assidu de son entourage. Qu’ont-ils ainsi à le provoquer ? Car il s’agit d’une véritable provocation de leur part, un authentique attentat à la pudeur. Pourquoi montrent-ils ainsi leur âme à nu ? Pourquoi se réduisent-ils à singer leur propre caricature ? Ils devraient avoir appris que l’artiste puise dans la nature les modèles de sa création, il suffirait qu’ils aient vus les tableaux de Brueghel ou de Jérôme Bosch pour comprendre que c’est bien eux qui courent un risque en étalant leur vilenie, mais encore faut-il avoir vu et compris ces œuvres.
Alors, ami, je tenais à vous faire part de ma solidarité et de mon soutien dans votre aventure. Je salue aussi votre courage à vous affronter à l’hydre de la sottise humaine.
Amicalement, votre romancier facétieux.



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