Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour.
L’année 2018 est, bien sûr, l’année qui clôturera les commémorations de la
guerre de 14-18, dite Grande Guerre. On aura eu quatre années de commémorations
successives dont le précédent président s’est régalé avec ferveur. Au bout de
cent ans toutefois, on manque largement d’anciens combattants à exhiber, la
grande faucheuse ayant fini par ratisser les derniers poilus survivants. Mais
les témoins directs sont-ils bien nécessaires de nos jours alors que l’on ne
manque pas de sommités compétentes et de prouesses technologiques
étonnantes ? On pressent que le 11 novembre de cette année sera
l’apothéose de toutes ces célébrations depuis quatre ans. Les officiels
fourbissent depuis longtemps, non leurs armes, mais leurs discours et les
musiciens militaires frottent déjà leurs cuivres et tambours avec ardeur.
Mais si 2018 est l’année commémoratrice par
excellence puisqu’en référence au centenaire de l’armistice de la Grande
Guerre, elle n’en sera pas moins la commémoration demi-séculaire ou
décalustrale - si j’ose utiliser un tel néologisme – des évènements de mai 68. Ah, mai 68 ne manque pas d’anciens
combattants – sinon des poilus tout au moins des pileux, barbus ou chevelus –
encore cliniquement vivants et que l’on pourra exhiber avec la nostalgie qui
sied. Car en effet, pour eux, pas de décorations ou de musiques martiales,
seulement une nostalgie pour ce mois où des tigres
en papier se voyaient déjà détrôner des tsars de supermarchés. C’est pendant
ce mois-là que les néo-bourgeois vont effectivement commencer à prendre les
manettes de la production culturelle pour s’épanouir pleinement quinze ans plus
tard en créant cette classe sociale inédite qui sera qualifiée de bourgeoisie
bohème, les bobos, de préférence parisiens quoique capables de coloniser les
grandes villes de province et même jusque dans nos campagnes. Mai 68 est de nos
jours, dans une sorte de subconscient
collectif, le mois où le peuple fut dans la rue. Mais –faut-il le rappeler ?
– au départ tout le peuple n’était pas dans la rue car c’étaient des étudiants,
dont certains plus ou moins attardés, qui ont lancé des émeutes dans le
quartier latin. Ils occupèrent la Sorbonne en pensant faire la révolution mais,
comme le dira Alain Peyrefitte, ils auraient dû relire la « Technique du
coup d’état » de Malaparte et ils auraient su qu’on ne fait pas la
révolution en occupant des bastilles intellectuelles mais en s’emparant des
nœuds de communication du pouvoir. Massu et De Gaulle pouvaient dormir
tranquilles à Baden-Baden, Trotski n’était pas de retour. Mais les étudiants
n’avaient pas battu le pavé en vain car la nouvelle bourgeoisie ouvrière
veillait : les syndicats, avec leur savoir-faire inégalé, ont récupéré le
mouvement en lançant une grève générale, ce qui était un comble face à un
président général lui aussi. Ce dernier ne s’en relèvera pas et laissera la
place peu après.
Toutefois, il serait exagéré de penser que toute
la France manifestait et, dans la France rurale, mise à part une pénurie
momentanée de carburant, l’écho des manifestants ne se faisait point entendre.
Moi-même qui ai connu le mois de mai 1968 – sans vouloir prendre mon cas pour
une généralité – j’avais assez de travail à soigner mes vaches et à rentrer du
foin pour penser à tout cela. Si mai 68 ne fut pas une révolution, ce fut quand
même un moment qui marqua les esprits, pour le meilleur comme pour le pire, les
utopies pouvant devenir réalités mais aussi les ambitions des uns permettant
d’écraser les espérances des autres. Cette date marque peut-être la naissance
de la gauche morale, moralisante et moralisatrice que nous connaissons
aujourd’hui, la naissance d’une orthodoxie consumériste à vocation hégémonique
qui a percolé au-delà des limites de cette gauche bienpensante mais aussi mal à
gauche que maladroite.
On voit par-là que, déjà en 1356, Philippe II le
Hardi disait à Jean le Bon : « Père, gardez-vous à droite ;
père, gardez-vous à gauche. »
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