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dimanche 15 avril 2018

Chronique de Serres et d’ailleurs III (29)


Auditrices et auditeurs qui m’écoutez, bonjour. L’année 2018 est, bien sûr, l’année qui clôturera les commémorations de la guerre de 14-18, dite Grande Guerre. On aura eu quatre années de commémorations successives dont le précédent président s’est régalé avec ferveur. Au bout de cent ans toutefois, on manque largement d’anciens combattants à exhiber, la grande faucheuse ayant fini par ratisser les derniers poilus survivants. Mais les témoins directs sont-ils bien nécessaires de nos jours alors que l’on ne manque pas de sommités compétentes et de prouesses technologiques étonnantes ? On pressent que le 11 novembre de cette année sera l’apothéose de toutes ces célébrations depuis quatre ans. Les officiels fourbissent depuis longtemps, non leurs armes, mais leurs discours et les musiciens militaires frottent déjà leurs cuivres et tambours avec ardeur.
Mais si 2018 est l’année commémoratrice par excellence puisqu’en référence au centenaire de l’armistice de la Grande Guerre, elle n’en sera pas moins la commémoration demi-séculaire ou décalustrale - si j’ose utiliser un tel néologisme – des évènements de mai 68. Ah, mai 68 ne manque pas d’anciens combattants – sinon des poilus tout au moins des pileux, barbus ou chevelus – encore cliniquement vivants et que l’on pourra exhiber avec la nostalgie qui sied. Car en effet, pour eux, pas de décorations ou de musiques martiales, seulement une nostalgie pour ce mois où des tigres en papier se voyaient déjà détrôner des tsars de supermarchés. C’est pendant ce mois-là que les néo-bourgeois vont effectivement commencer à prendre les manettes de la production culturelle pour s’épanouir pleinement quinze ans plus tard en créant cette classe sociale inédite qui sera qualifiée de bourgeoisie bohème, les bobos, de préférence parisiens quoique capables de coloniser les grandes villes de province et même jusque dans nos campagnes. Mai 68 est de nos jours, dans une sorte de subconscient collectif, le mois où le peuple fut dans la rue. Mais –faut-il le rappeler ? – au départ tout le peuple n’était pas dans la rue car c’étaient des étudiants, dont certains plus ou moins attardés, qui ont lancé des émeutes dans le quartier latin. Ils occupèrent la Sorbonne en pensant faire la révolution mais, comme le dira Alain Peyrefitte, ils auraient dû relire la « Technique du coup d’état » de Malaparte et ils auraient su qu’on ne fait pas la révolution en occupant des bastilles intellectuelles mais en s’emparant des nœuds de communication du pouvoir. Massu et De Gaulle pouvaient dormir tranquilles à Baden-Baden, Trotski n’était pas de retour. Mais les étudiants n’avaient pas battu le pavé en vain car la nouvelle bourgeoisie ouvrière veillait : les syndicats, avec leur savoir-faire inégalé, ont récupéré le mouvement en lançant une grève générale, ce qui était un comble face à un président général lui aussi. Ce dernier ne s’en relèvera pas et laissera la place peu après.
Toutefois, il serait exagéré de penser que toute la France manifestait et, dans la France rurale, mise à part une pénurie momentanée de carburant, l’écho des manifestants ne se faisait point entendre. Moi-même qui ai connu le mois de mai 1968 – sans vouloir prendre mon cas pour une généralité – j’avais assez de travail à soigner mes vaches et à rentrer du foin pour penser à tout cela. Si mai 68 ne fut pas une révolution, ce fut quand même un moment qui marqua les esprits, pour le meilleur comme pour le pire, les utopies pouvant devenir réalités mais aussi les ambitions des uns permettant d’écraser les espérances des autres. Cette date marque peut-être la naissance de la gauche morale, moralisante et moralisatrice que nous connaissons aujourd’hui, la naissance d’une orthodoxie consumériste à vocation hégémonique qui a percolé au-delà des limites de cette gauche bienpensante mais aussi mal à gauche que maladroite.
On voit par-là que, déjà en 1356, Philippe II le Hardi disait à Jean le Bon : « Père, gardez-vous à droite ; père, gardez-vous à gauche. »

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