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jeudi 19 avril 2018

René-la-Science (98)



Sylvie avait bien entendu parler du projet de mariage mais ne savait pas où cela en était. René était très souvent là-bas et dirigeait pour ainsi dire les travaux.
Mais ce qui m’intéressait le plus, c’était de connaître un peu mieux Sylvie. Et voici ce qu’elle me raconta :
— Mes parents sont arrivés à Villeneuve lorsque j’avais onze ans. Mon père était d’une famille fortunée de la capitale et il avait trois frères et trois soeurs qui avaient tous réussi chacun de leur côté, soit par de bonnes études, soit par de beaux mariages. Ma mère était une jolie femme, mais d’une famille modeste, et mon père avait tenté de se lancer dans les affaires après avoir fait de vagues études économiques. Son manque de réussite était trop flagrant comparé à ses frères et sœurs et il se résolut à partir en province, pensant trouver sa chance ailleurs qu’à Paris. Il monta une entreprise de préfabrication qui mourut aussi vite qu’elle était née. Il était non seulement ruiné, mais de plus, il s’était couvert de dettes. Il fit donc une faillite humiliante mais eut la chance de se trouver un emploi de directeur commercial dans une petite industrie locale. Il portait ce titre de directeur commercial, mais était en quelque sorte le factotum de son patron, chargé autant de la cantine de l’usine que de l’arbre de Noël. Mais le principal était qu’il sauvait la face, qu’il réussissait survivre et qu’il pouvait continuer à payer mes études. Il me poussa à suivre une filière commerciale et, étant au Lycée, je dus faire un stage dans le commerce. J’étais toujours restée la parisienne et toutes mes condisciples se prirent les stages considérés comme intéressants. Il ne me resta plus que la boutique de fleuriste de Ninon Fauchet. Cette dernière était considérée comme un épouvantail, pensez-donc : une boutique de fleurs ! De plus, toutes les élèves qui avaient fait un stage chez elle avaient été saquées par elle au moment du rapport du maitre de stage. Mon professeur me dit que je pouvais essayer de trouver ailleurs, mais que cela ne serait pas facile. Je décidai de relever le défi. J’irais faire mon stage de fleuriste et je m’accrocherais. En effet, la Ninon n’était pas commode et elle était exigeante. Mais les fleurs me plaisaient et le contact avec les clientes et les clients aussi. Après un début difficile, mon stage se passa très bien. Et ce fut la stupéfaction au Lycée quand on s’aperçut que j’avais le compte-rendu de stage le plus élogieux de toute ma classe. J’eus droit aux félicitations amusées mais sincères de mes professeurs. Ninon me proposa de revenir pendant mes vacances, nous nous entendions vraiment bien. J’allai donc pendant une bonne partie de mes vacances travailler au magasin. Et ce qui devait arriver arriva, Roger vint de plus en plus souvent au magasin. Ce petit malin voulait coucher avec moi, mais je me défendis, pas touche, le mariage d’abord. Je te dirai franchement que Roger me plaisait assez. Mais de plus, sa mère était une femme d’affaires avisée. Elle avait épousé ce Siméon qui tenait de ses parents une belle petite propriété maraîchère. Ninon était sans le sou quand elle s’est mariée, mais elle fit bosser son Siméon et lui fit monter une serre pour cultiver des fleurs au lieu de légumes. Elle vendit d’abord ses fleurs au marché puis elle ouvrit son magasin. Les affaires marchaient bien et avec l’argent gagné elle avait acheté une bonne vingtaine de maisons dans Villeneuve. Ces maisons étaient louées et rapportaient de l’argent. Elle avait financé le départ de l’entreprise d’espaces verts de Roger. Tout cela pour dire que le Roger, fils unique de Ninon et Siméon, était de plus un parti intéressant, malgré la grande rusticité de sa famille. Mes parents n’espéraient en fait pas mieux pour moi. Je l’épousai donc et nous eûmes nos deux filles. J’ai été associée au magasin et à l’entreprise. J’ai tranquillement fait ma pelote Mon mari, avant notre mariage, avait une maitresse et il a continué à la voir. Et moi j’ai pris un amant, toi par exemple.
— Il n’y a pas eu que moi, me semble-t-il, dis-je.
— D’accord, mais j’avais besoin de Michel pour te rencontrer. Si je n’avais pas couché avec lui, je ne t’aurais pas rencontré, répondit-elle.
— Je serais certainement allé acheter des fleurs…
— Tu aurais payé et tu serais reparti, voilà tout. Mais j’espère que tu as bien compris que je veux te garder et que je ne compte pas divorcer. Je ne divorcerai que si c’est Roger qui demande le divorce. Evidemment, si Roger demande et obtient le divorce, tu cours le risque de me voir rappliquer chez toi pour la vie, mon beau chevalier servant !
— Longue vie à Roger Fauchet et à ses épousailles, dis-je avec emphase.
— Mais je sais bien que tu m’aimes d’autant plus que tu me vois rarement. Qu’aurais-tu dit si j’étais arrivée en te disant : « mon chéri, ça y est, je suis venue avec mes valises et mes gosses, on va enfin pouvoir s’aimer » ?
— C’est trop compliqué pour moi, tout ce que je sais c’est que j’espère que tu foutras le camp d’ici avec tes valises… sous les yeux.
— On ne peut pas parler avec toi, tu t’en sors toujours par une pirouette, me dit Sylvie en faisant mine de me souffleter. T’es comme tous les mecs, ton tour de magie préféré c’est : « j’te baise et tu disparais »…
(à suivre...)

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