Sylvie avait bien entendu
parler du projet de mariage mais ne savait pas où cela en était. René était
très souvent là-bas et dirigeait pour ainsi dire les travaux.
Mais ce qui m’intéressait
le plus, c’était de connaître un peu mieux Sylvie. Et voici ce qu’elle me
raconta :
— Mes parents sont
arrivés à Villeneuve lorsque j’avais onze ans. Mon père était d’une famille
fortunée de la capitale et il avait trois frères et trois soeurs qui avaient
tous réussi chacun de leur côté, soit par de bonnes études, soit par de beaux
mariages. Ma mère était une jolie femme, mais d’une famille modeste, et mon
père avait tenté de se lancer dans les affaires après avoir fait de vagues
études économiques. Son manque de réussite était trop flagrant comparé à ses
frères et sœurs et il se résolut à partir en province, pensant trouver sa
chance ailleurs qu’à Paris. Il monta une entreprise de préfabrication qui
mourut aussi vite qu’elle était née. Il était non seulement ruiné, mais de plus,
il s’était couvert de dettes. Il fit donc une faillite humiliante mais eut la
chance de se trouver un emploi de directeur commercial dans une petite
industrie locale. Il portait ce titre de directeur commercial, mais était en
quelque sorte le factotum de son patron, chargé autant de la cantine de l’usine
que de l’arbre de Noël. Mais le principal était qu’il sauvait la face, qu’il
réussissait survivre et qu’il pouvait continuer à payer mes études. Il me
poussa à suivre une filière commerciale et, étant au Lycée, je dus faire un
stage dans le commerce. J’étais toujours restée la parisienne et toutes
mes condisciples se prirent les stages considérés comme intéressants. Il ne me
resta plus que la boutique de fleuriste de Ninon Fauchet. Cette dernière était
considérée comme un épouvantail, pensez-donc : une boutique de fleurs ! De
plus, toutes les élèves qui avaient fait un stage chez elle avaient été saquées
par elle au moment du rapport du maitre de stage. Mon professeur me dit que je
pouvais essayer de trouver ailleurs, mais que cela ne serait pas facile. Je
décidai de relever le défi. J’irais faire mon stage de fleuriste et je
m’accrocherais. En effet, la Ninon n’était pas commode et elle était exigeante.
Mais les fleurs me plaisaient et le contact avec les clientes et les clients
aussi. Après un début difficile, mon stage se passa très bien. Et ce fut la
stupéfaction au Lycée quand on s’aperçut que j’avais le compte-rendu de stage
le plus élogieux de toute ma classe. J’eus droit aux félicitations amusées mais
sincères de mes professeurs. Ninon me proposa de revenir pendant mes vacances,
nous nous entendions vraiment bien. J’allai donc pendant une bonne partie de
mes vacances travailler au magasin. Et ce qui devait arriver arriva, Roger vint
de plus en plus souvent au magasin. Ce petit malin voulait coucher avec moi,
mais je me défendis, pas touche, le mariage d’abord. Je te dirai franchement
que Roger me plaisait assez. Mais de plus, sa mère était une femme d’affaires
avisée. Elle avait épousé ce Siméon qui tenait de ses parents une belle petite
propriété maraîchère. Ninon était sans le sou quand elle s’est mariée, mais
elle fit bosser son Siméon et lui fit monter une serre pour cultiver des fleurs
au lieu de légumes. Elle vendit d’abord ses fleurs au marché puis elle ouvrit
son magasin. Les affaires marchaient bien et avec l’argent gagné elle avait
acheté une bonne vingtaine de maisons dans Villeneuve. Ces maisons étaient
louées et rapportaient de l’argent. Elle avait financé le départ de
l’entreprise d’espaces verts de Roger. Tout cela pour dire que le Roger, fils
unique de Ninon et Siméon, était de plus un parti intéressant, malgré la grande
rusticité de sa famille. Mes parents n’espéraient en fait pas mieux pour moi.
Je l’épousai donc et nous eûmes nos deux filles. J’ai été associée au magasin
et à l’entreprise. J’ai tranquillement fait ma pelote Mon mari, avant notre
mariage, avait une maitresse et il a continué à la voir. Et moi j’ai pris un
amant, toi par exemple.
— Il n’y a pas eu que
moi, me semble-t-il, dis-je.
— D’accord, mais j’avais
besoin de Michel pour te rencontrer. Si je n’avais pas couché avec lui, je ne
t’aurais pas rencontré, répondit-elle.
— Je serais certainement
allé acheter des fleurs…
— Tu aurais payé et tu
serais reparti, voilà tout. Mais j’espère que tu as bien compris que je veux te
garder et que je ne compte pas divorcer. Je ne divorcerai que si c’est Roger
qui demande le divorce. Evidemment, si Roger demande et obtient le divorce, tu
cours le risque de me voir rappliquer chez toi pour la vie, mon beau chevalier
servant !
— Longue vie à Roger
Fauchet et à ses épousailles, dis-je avec emphase.
— Mais je sais bien que
tu m’aimes d’autant plus que tu me vois rarement. Qu’aurais-tu dit si j’étais
arrivée en te disant : « mon chéri, ça y est, je suis venue avec mes valises et
mes gosses, on va enfin pouvoir s’aimer » ?
— C’est trop compliqué
pour moi, tout ce que je sais c’est que j’espère que tu foutras le camp d’ici
avec tes valises… sous les yeux.
— On ne peut pas parler
avec toi, tu t’en sors toujours par une pirouette, me dit Sylvie en faisant
mine de me souffleter. T’es comme tous les mecs, ton tour de magie préféré
c’est : « j’te baise et tu disparais »…
(à suivre...)
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